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L’ABBÉ DE LA MENNAIS.

nous approchons, on ne remontera pas immédiatement à l’état chrétien. Le despotisme et l’anarchie continueront long-temps encore de se disputer l’empire, et la société restera soumise à l’influence de ces deux forces également aveugles, également funestes, jusqu’à ce que d’une part elles aient achevé la destruction de tout ce que le temps, les passions, l’erreur ont altéré au point de n’être plus qu’un obstacle au renouvellement nécessaire ; et, de l’autre, que les vérités d’où dépend le salut du monde, aient pénétré dans les esprits et disposé toutes choses pour la fin voulue de Dieu. »

Vers le même temps où l’esprit de M. de La Mennais acceptait si largement l’harmonie du catholicisme avec l’état par la liberté, il tendait aussi à se déployer dans l’ordre de science et à le remettre en harmonie avec la foi. Pendant les intervalles de la controverse vigoureuse à laquelle on l’aurait cru tout employé, serein et libre, retiré de ce monde politique actif où le Conservateur l’avait vu un instant mêlé et d’où tant d’intrigues hideuses l’avaient fait fuir, entouré de quelques pieux disciples, sous les chênes druidiques de la Chesnaye, seul débris d’une fortune en ruines, il composait les premières parties d’un grand ouvrage de philosophie religieuse qui n’est pas fini, mais qui promet d’embrasser par une méthode toute rationnelle l’ordre entier des connaissance humaines, à partir de la plus simple notion de l’être : le but dernier de l’auteur dans cette conception encyclopédique est de rejoindre d’aussi près que possible les vérités primordiales d’ailleurs imposées, et de prouver à l’orgueilleuse raison elle-même qu’en poussant avec ses seules ressources, elle n’a rien de mieux à faire que d’y consentir. La logique la plus exacte jointe à un fonds d’orthodoxie rigoureuse s’y fraie une place entre Saint-Martin et Baader. Nous avons été assez favorisé pour entendre durant plusieurs jours de suite les premiers développemens de cette forte recherche : ce n’était pas à la Chesnaye, mais plus récemment à Juilly, dans une de ces anciennes chambres d’oratoriens, où bien des hôtes s’étaient assis sans doute depuis Mallebranche jusqu’à Fouché ; je ne me souvenais que de Mallebranche. Pendant que lisait l’auteur, bien souvent