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cour de France et si difficilement agréé à celle de Rome. C’est un rapport de plus de M. de La Mennais avec Fénelon. Tous les deux, hommes d’avenir, prêtres selon l’esprit, sentant à leur face le souffle nouveau du catholicisme, ils ont, conformément à l’ordre de leur venue et à la tournure particulière de leur génie, exprimé diversement les mêmes vœux, les mêmes remontrances touchant la conduite temporelle des peuples. Si M. de La Mennais explique et précise Fénelon, s’il est en ce moment l’aurore manifeste, bien que laborieuse, du jour dont Fénelon était comme l’aube blanchissante, Fénelon aussi, par ses signes précurseurs et la bienfaisance de son étoile catholique sous le despotisme de Louis xiv, garantit, absout, recommande à l’avance M. de La Mennais, et doit disposer les plus soupçonneux à le dignement comprendre. Sous la restauration comme sous Louis xiv, le dogme politique en vogue, la prétention formelle des gouvernans était la légitimité, c’est-à-dire l’inadmissibilité du pouvoir en vertu de certains droits de naissance, et nonobstant toute manière d’user ou d’abuser. Cette doctrine servile, vraiment idolâtre et charnelle, avait pris corps à partir du protestantisme, anglicane avec Henri viii et Jacques Ier, gallicane avec Louis xiv, et elle avait engendré collatéralement le dogme de la souveraineté du peuple, qui n’est qu’une réponse utile à coups de force positive et de majorité numérique. Dans le moyen-âge, il n’en allait pas ainsi : la puissance spirituelle régnait ; les princes, fils de l’église, tuteurs au temporel, administraient les peuples robustes encore en enfance ; s’ils faisaient sentir trop pesamment le sceptre, au cri que poussaient les peuples, le Saint-Siége s’émouvait et portait sentence. Mais au moment où commença de se prononcer l’émancipation des peuples, le Saint-Siége devint inhabile, les princes et les sujets se montrèrent récalcitrans ; ces derniers s’entendirent pour ne plus recourir à l’autre, sauf à vider bientôt leurs différends réciproques sans arbitre et dans un duel irréconciliable. Tout cela se fit par degrés, selon les temps et les pays ; il y eut chez nous une ère transitoire, qui eut sa splendeur sous Louis xiv, sa mourante lueur sous la restauration, et durant laquelle, tout en reconnaissant la puissance spirituelle,