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versation, mais qui ne gouvernait plus son cœur ni sa vie. Ce retour imparfait n’eut lieu toutefois qu’après un premier cahos et au sortir des doutes tumultueux qui avaient pour un temps prévalu. Quant à ce qui touche le genre d’émotions auquel dut échapper difficilement une âme si ardente, et ceux qui la connaissent peuvent ajouter si tendre, je dirai seulement que, sous le voile épais de pudeur et de silence qui recouvre aux yeux même de ses plus proches ces années ensevelies, on entreverrait de loin, en le voulant bien, de grandes douleurs, comme quelque chose d’unique et de profond, puis un malheur décisif, qui du même coup brisa cette âme et la rejeta dans la vive pratique chrétienne d’où elle n’est plus sortie. Toutes conjectures d’un ordre inférieur doivent tomber comme grossières et dénuées de fondement. Pour ceux qui cherchent dans les moindres détails des traits de caractère, ajoutons que M. de La Mennais, quand il était dans le monde, avait une passion extrême pour faire des armes et qu’il donnait souvent à l’escrime des journées entières : ce sera un symbole de polémique future, si l’on veut. Entre son retour complet à la religion et la tonsure, entre la tonsure et son entrée définitive dans les ordres, plusieurs années se passèrent pour M. de La Mennais ; il ne fut tonsuré en effet qu’en 1811, et ordonné prêtre qu’en 1817. Dès 1807, nous voyons paraître de lui une traduction exquise du Guide spirituel, petit livre ascétique du bienheureux Louis de Blois. La préface, aussi parfaite de style que tout ce que l’auteur a écrit plus tard, respire un parfum de grâce céleste, une ravissante fraîcheur de spiritualité. Les Réflexions sur l’état de l’Église, qui furent imprimées un an après, en 1808, mais que la police de Bonaparte arrêta aussitôt, appartiennent au contraire à la lutte hardie de l’apôtre avec le siècle, et en sont comme le premier défi. M. de La Mennais s’y élève déjà contre l’indifférence glacée qui ne prend plus même à la religion assez d’intérêt pour la combattre. « Aujourd’hui, dit-il, il en est des vérités les plus importantes comme de ces bruits de ville, dont on ne daigne même pas s’informer ». C’est au matérialisme philosophique qu’il rapporte particulièrement ces effets, et il