Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/377

Cette page a été validée par deux contributeurs.
363
L’ABBÉ DE LA MENNAIS.

d’honneur sur un autre, en lui imputant une portée philosophique, une conception analogue à celle du dernier siècle ; chez elle encore, il aurait pu apercevoir justement, même à travers les quolibets anti-jésuitiques (malheureusement utiles), du plus populaire de ses journaux, une nuance un peu crue, parfois un peu sale, une variété épaisse et grossière de l’indifférence. Quoi qu’il en soit, cette indifférence du siècle se révéla comme fait capital à M. de La Mennais, et il résolut de la contrarier par toutes les faces, de secouer de terre sa lâcheté assoupie, de l’insulter dans l’arène, comme on fait au buffle stupide, de la toucher au flanc de la pointe de cette lance trempée au sang du Christ. C’était mieux présumer d’elle qu’elle ne méritait : le succès ne fut pas ce qu’il devait être. Il y eut pourtant une vive sensation, comme on dit, mais stérile chez la plupart, et le nom de M. de La Mennais est resté pour eux un épouvantail ou une énigme. Le clergé, du sein duquel il sortait, se laissa aller unanimement d’abord ; il eut l’air de comprendre ; il salua, il exalta d’un long cri d’espérance son athlète et son vengeur. Tandis que pour cette tache, en effet, M. de Bonald était trop purement métaphysicien, M. de Châteaubriand trop distrait et profane, M. de Maistre d’une lecture peu accessible et alors presque inconnu, voilà que s’élevait un théologien ardent, unissant la hauteur des vues au caractère pratique, écrivain, raisonneur et prêtre, empruntant à Port-Royal, aux gallicans et à Jean-Jacques les formes claires, droites et françaises de leur logique et de leur style, les emplissant par endroits d’une invective de missionnaire, catholique d’ailleurs en doctrine comme Duperron et Bellarmin. Le surnom de Bossuet nouveau circula donc en un instant sur les lèvres du clergé. Au dehors, ce fut surtout de l’étonnement ; on n’admettait pas qu’un prêtre parlât sur ce ton aux puissances et qu’il se posât plus haut qu’elles avec cette audace d’aveu. Les uns le prenaient pour un converti effervescent qui voulait faire du bruit ; les plus ingénieux et les plus subtils interprétaient son livre comme un retour fougueux après une jeunesse orageuse. Tel fut le premier effet. Mais lorsque, deux ans après, parut le tome second de l’Indifférence et que