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pu trouver le temps d’écrire ce chef-d’œuvre ; car, outre le mérite admirable de cette composition, il ne faut pas oublier que le texte original est d’une étendue double à-peu-près de celle d’Ivanhoë.

L’ouvrage est dédié à l’honorable Littleton, et la dédicace donne à entendre que, sans le secours de ce généreux protecteur, et celui du duc de Bedford, le livre n’aurait pas été achevé, et que l’auteur leur a dû son existence, tandis qu’il était occupé à l’écrire. Cette page d’une si poignante amertume n’a de comparable que la préface de Melmoth. Mais, en obéissant à son caractère sombre et hautain, Maturin parle de la faim avec d’autres paroles. « Je sais, dit-il, que plusieurs personnes considérables ont blâmé l’auteur de ce livre, ministre de la religion, de profaner son caractère en composant des ouvrages d’imagination. À cela j’ai à répondre pour ma justification que, si ma profession me donnait de quoi manger, je ne composerais pas de romans. » Qu’il y a loin de cet aveu et de cette apologie à la préface mise en tête de l’édition de Shakespeare, publiée en 1622, huit ans après la mort de l’auteur, par ses camarades Heminge et Condell ! Les joyeux comédiens préviennent le public, qu’ils sont convaincus à l’avance du mérite de leur publication ; puis ils ajoutent qu’ils se soucient peu des éloges qu’on pourrait donner au poète, et que la seule chose qui leur importe, c’est qu’on achète ses œuvres. Il était peut-être impossible qu’un juge de paix, un ministre et un comédien tinssent un autre langage !

Il paraît que Ralph Allen, l’ami de Pope, fut aussi un des bienfaiteurs de Fielding ; mais il insista pour n’être pas nommé : on assure qu’avant de connaître l’auteur personnellement, il lui envoya 200 livres en un seul don.

Walter Scott a judicieusement et nettement indiqué la différence profonde qui sépare Tom Jones des romans de Richardson. Pour la première fois, dit-il, l’Angleterre eut un ouvrage d’imagination, fondé sur l’imitation fidèle de la nature. Et, en effet, quel que soit le mérite éminent de Clarisse, on ne peut nier qu’une foule d’incidens ne soient invraisemblables, et que plusieurs caractères ne soient exagérés. Ce qui frappe au con-