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toute l’Allemagne centrale. Si l’Allemagne eût pu croire servir le génie renaissant de la civilisation, et se rattacher à une idée féconde, il y a assez d’entraînement dans ce peuple pour qu’il eût été facile de le gagner ; ses écrivains les plus populaires l’avouent aujourd’hui. Ce moment a existé ; je l’ai vu de mes yeux. Il a été court, de ceux que le génie saisit, et qui ne se retrouvent plus quand on les a laissé échapper.

Car, il faut bien le dire, l’opposition des états constitutionnels est poussée à un but plus lointain qu’elle n’imagine, et elle a tout une autre profondeur que celle qu’on lui aperçoit à la première vue. En Bavière, elle lutte, il est vrai, avec une ardeur toute française contre un roi demi-poète, demi-grand homme, amateur de liberté, et plus grand fauteur d’arbitraire, espèce d’étudiant nouvellement épris des moralités de Werner, artiste ou antiquaire, comme on voudra, qui n’a pris au sérieux ni son peuple, ni sa couronne, qui évoque un jour à son de trompe dans ses états l’ancienne foi, l’ancienne liberté, l’enthousiasme des croisades, le génie et la vertu des vieux temps de l’indépendance germanique, pour le plaisir de les enharnacher des formes du passé, de les caparaçonner de liens féodaux, de les emmanteler de servitudes seigneuriales, pour voir défiler de sa fenêtre le convoi historique de son propre royaume, lui qui tient pendant ce temps sa monarchie debout sur l’escabeau d’un atelier, mis là au lieu du trône de pierre de Barberousse. Dans le duché de Bade, l’opposition a atteint un degré de violence et d’impatience qui inspire dans le reste du pays au moins autant d’étonnement que de sympathie. Mais si, depuis quinze ans la liberté constitutionnelle n’a pas fait plus de progrès en Allemagne, c’est qu’elle n’est pas en première ligne dans les besoins du pays. Ces libertés locales çà et là groupées et étranglées entre les poteaux de quelque souveraineté ducale s’agitent toutes dans un cercle vicieux. Elles ne peuvent logiquement exister et se développer qu’à la condition que quelque chose autre les accompagne ; et ce quelque chose, c’est l’unité politique de l’Allemagne. Oui, l’unité, voilà la pensée profonde, continue, nécessaire, irrévocable, qui travaille ce pays et le sillonne en tous