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forte secousse, qu’on ne peut la garder dans la main ou laisser le pied dessus.

Après avoir quitté l’Orénoque et remonté la rivière Cabullari, les voyageurs entrèrent dans la rivière Araüco, et abordèrent au village de Caüjaral, charmés de voir finir l’ennuyeux trajet par eau et de n’avoir plus à voyager que par terre. La navigation est fastidieuse sur cette petite rivière. Les arbres d’un bord à l’autre y font un dôme si épais, qu’ils empêchent de pénétrer la brise, qui est si rafraîchissante sur l’Orénoque.

« Les alligators, dit l’auteur, sont énormes dans ces rivières retirées, et, par le grand nombre que nous y trouvâmes, je pense qu’ils les préfèrent aux grands fleuves. Nous eûmes par conséquent maintes occasions d’observer leurs formes et leurs habitudes. Cet animal, nommé par les Indiens cayman, n’est pas aussi actif qu’on l’a représenté jusqu’à présent. Dans l’eau même, où ses mouvemens devraient être plus faciles à cause de sa conformation, ils sont loin d’être rapides, et il compte beaucoup plus sur la surprise, pour saisir sa proie, que sur sa vivacité. Il est très gauche et lourd dans sa démarche, et évidemment incapable de poursuivre sur terre aucun animal avec chance de succès. On le trouve rarement éloigné de la rivière ou de l’étang qu’il fréquente, et en général, quand les marais sont desséchés par les chaleurs, il préfère rester dans un état complet de torpeur, dans la boue, plutôt que de s’aventurer à la recherche de l’eau. Quoiqu’il soit amphibie, c’est cependant l’élément qui lui convient le mieux, car il y passe la plus grande partie de son temps, et, en cas d’alarmes, c’est là qu’il se retire. On le voit souvent endormi à sa surface, et par la forme de sa tête, il peut respirer dans cette position, pendant que le reste du corps est sous l’eau. C’est une erreur que de le croire obligé d’aller à terre pour dévorer sa proie. Il peut s’en dispenser en sortant la tête hors de l’eau. Rien de plus terrible à voir qu’un groupe de grands alligators occupés à dévorer un cheval que le courant emmène. La violence avec laquelle ils arrachent des membres entiers, le bruit produit par leurs défenses, quand ils ferment leurs énormes mâchoires, ne peut