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SCÈNES HISTORIQUES.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

— Ouvrez, maître Leclerc ; je suis Jean Juvénal des Ursins, conseiller au parlement de notre sire le roi. Je me suis attardé chez le prieur de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, et comme nous sommes de vieilles connaissances, j’ai compté sur vous.

— Oui, oui, murmura Leclerc, aussi vieilles connaissances que peuvent l’être un vieillard et un enfant. C’était votre père, jeune homme, qui pouvait parler ainsi, car nous sommes nés tous deux dans la ville de Troyes en 1340, et une connaissance de soixante-huit ans méritait mieux que la nôtre le titre que vous lui donnez.

En disant ces paroles, le gardien faisait tourner deux fois la clé dans la serrure, fixait dans une position perpendiculaire la barre de fer horizontale qui fermait la porte, et, de ses deux mains, poussant l’un, tirant l’autre, entre-baillait les battans massifs qui donnèrent à l’instant passage à un jeune homme de vingt-six à vingt-huit ans.

— Merci, maître Leclerc, dit-il en frappant sur l’épaule du vieillard avec un geste mêlé d’affection et de respect ; merci, et comptez sur moi dans l’occasion, comme j’ai compté sur vous.

— Messire Juvénal, dit le jeune factionnaire, puis-je réclamer ma part dans cette promesse, comme j’ai eu ma part dans le service que mon père vient de vous rendre ? car, sans moi qui l’ai prévenu, vous eussiez couru grand risque de passer la nuit de l’autre côté des murailles.

— Ah ! c’est toi, Perrinet ; et que fais-tu dans cet accoutrement, à cette heure de la nuit ?

— Je monte la garde par l’ordre de M. le connétable, et comme j’étais libre de choisir l’endroit de ma faction, je suis venu demander à dîner à mon vieux père…

— Et il a été le bienvenu, ajouta le vieillard ; car c’est un digne garçon, qui craint Dieu, respecte le roi, et aime ses parens.

Le vieux Leclerc tendit à son fils une main ridée et tremblante. Celui-ci la serra dans les siennes ; Juvénal prit l’autre.