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SCÈNES HISTORIQUES.

Saint-Martin, qui, vers le nord, se confondirent avec l’ombre accourant rapide et épaisse comme une marée ; bientôt elle atteignit et enveloppa les aiguilles aiguës et dentelées de Saint-Gilles et Saint-Luc, qui de loin semblaient au milieu du crépuscule deux géans prêts à lutter, gagna Saint-Jacques-la-Boucherie, qui n’apparut plus dans la brume que parce qu’il y traçait une ligne verticale plus foncée, puis se joignit au brouillard qui se levait de la Seine, et qu’un vent bas et pluvieux enlevait par immenses flocons ; l’œil put distinguer encore un instant, à travers un voile de vapeur, le vieux Louvre et sa colonnade de tours, Notre-Dame la métropolitaine et le clocher élancé de la Sainte-Chapelle, puis, comme un cheval de course, l’ombre s’élança sur l’université, enveloppa Sainte-Geneviève, gagna la Sorbonne, tourbillonna sur les toits des maisons, s’abaissa dans les rues, dépassa le rempart, se répandit dans la plaine, alla effacer à l’horizon la ligne rougeâtre que le soleil avait laissée, comme un dernier adieu à la terre, et sur laquelle quelques minutes auparavant se détachait encore la silhouette noire des trois clochers de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés.

Bientôt, au milieu de cette masse noire que formait Paris, jaillirent de place en place des lumières tremblantes, si nombreuses et si irrégulières, qu’on eût cru voir éclore tour-à-tour sur la terre les étoiles qui manquaient au ciel ; puis les mille bruits divers que forme pendant le jour la voix bruyante de Paris, s’affaiblirent peu à peu, se relevant de temps en temps par éclats pour diminuer encore, jusqu’à ce qu’ils ne fussent plus qu’une rumeur confuse, qui elle-même dégénéra petit à petit en ce bourdonnement vague et sourd, pareil à la respiration qui, pendant son sommeil, s’échappe de la poitrine d’un géant.

Cependant, sur la ligne de remparts qui étreint comme une ceinture le colosse endormi, on distingue de cent pas en cent pas des gardes chargés de veiller à sa sûreté : le bruit mesuré et monotone de leur marche ressemble, si nous poursuivons la comparaison, à la pulsation du pouls qui annonce que la vie est là, quoiqu’elle revête un instant l’apparence de la mort ; de temps