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DE L’ALLEMAGNE.

son salut là où le plus grand nombre voit sa ruine : alors le pire service qu’on ait à rendre à l’état est de lui pallier de nouveau ses dangers et son abattement ; car, dans des jours pareils, ce n’est plus le droit, c’est le devoir de ceux mêmes dont la voix est la plus faible, de dire ouvertement ce qu’ils ont vu autour d’eux, afin que les pouvoirs menacés reçoivent jusqu’au bout des avertissemens de tous côtés, qu’on ne les laisse pas traîtreusement se tuer par leurs armes dans leurs propres embûches ; qu’au moins le pays sache bien que pour lui, quoi qu’il arrive, il sortira la vie sauve ; et qu’il mesure, s’il le veut, sa fortune à venir par sa misère présente.

Chaque peuple a en lui un point par lequel il l’emporte sur tous les autres, et ce point unique domine et reparaît à chaque époque décisive de son histoire. L’Italie a pour elle l’indépendance des mœurs, la vie facile, le bonheur et l’exaltation des sens, l’insouciance que donne l’habitude des ruines ; elle a surtout à son service le génie de l’art, qui partout ailleurs est un effort, qui, chez elle, est une institution divine et naturelle. L’Allemagne, bien qu’amenée chaque jour sur le penchant de la France, a pour elle son bonheur domestique, ses préoccupations de famille, un reste de vieilles mœurs qui, nulle part, ne sont plus reposées que là ; peu de soucis, moins de désirs, une vie religieuse qui lui a suffi long-temps : il faut dire aussi qu’elle a incontestablement plus de science, et une science mieux répandue, plus vivante, plus libérale, dans laquelle elle a consenti jusqu’à ce jour à enfermer son ambition et son génie novateur. Tout l’effort de notre gouvernement, pour répondre aux exigences de l’industrie, n’empêche pas que l’Angleterre ne soit en ceci notre maîtresse, et que la France n’égalera jamais dans le mouvement du commerce la vitesse d’une île qui flotte comme un vaisseau, et aborde avant elle tous les climats, bien loin, comme on l’a dit, d’être enfermée dans aucun. Notre sol n’est pas aussi fertile que l’Amérique du sud, et notre liberté si inquiète, si redoutée, qui vit au jour le jour, moitié achevée, moitié agenouillée devant le reste de l’Europe, est bien loin de la liberté confiante et satisfaite de l’Amérique du nord.