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INCENDIE À LA MER.

vitriol sans ma permission ? Si je savais qui, je le ferais jeter à la mer.

Le second se frappa trois fois la poitrine en levant les yeux au ciel.

— S’il faut jeter quelque chose à la mer, capitaine, c’est la colère, quand elle est inutile. Du sang-froid et pas de plaintes. Ce n’est pas le moment de récriminer ; le mal est fait. On a eu tort d’embarquer du vitriol ; on a eu un tort plus grand, c’est de l’emballer maladroitement, et de l’arrimer sans intelligence ; c’est quelque marin stupide qui aura fait cela.

Le second se frappa trois fois encore la poitrine.

— Mais n’en parlons plus, et voyons promptement ce que nous avons à faire. Que ferons-nous, capitaine ?

Le capitaine balbutia quelques paroles sans suite. — Il faudrait… il serait bon de…, la terre est si loin.

— À deux cents lieues à-peu-près, dit le lieutenant. Et vous, monsieur, quel est votre avis ? Demanda-t-il au second.

— De nous confesser, n’est-ce pas, M. Dupuis ? reprit, avec un incroyable accent de gaîté moqueuse, un matelot qui entendait le vieillard murmurer tout bas des paroles dans une langue étrangère.

Un éclat de rire, qui passa au milieu de l’agitation grave à laquelle l’équipage était en proie, comme un rayon furtif du soleil perce les nuages que la tempête a amoncelés, tira M. Dupuis de sa méditation religieuse. — Il faut mourir si Dieu l’ordonne, répondit le second, à la double interpellation qui lui était faite ! Mais Dieu ne permettra pas que tant de braves gens meurent à cause de moi, car c’est moi qui suis ce marin stupide qui a embarqué la caisse fatale et l’a mal arrimée. Si l’intercession de la vierge Marie est inutile ; si le ciel a condamné la Julie à périr par le feu, tout est dit, et c’est à la mort seulement que nous devons songer. Alors je vous demanderai pardon du tort que je vous fais à tous de la vie ; et j’espère…

Maître Pierre l’interrompit : — Vieux capucin, assez de prône. Il n’y a sous ta perruque qu’une tête vide ; prie, c’est bien, mais ne décourage pas nos gens.