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nement qui l’étourdissait en l’exaltant, fut de saisir sa lance. Guerrière, elle eût été sublime, elle eût tout entraîné ; législatrice et pacifique, elle balbutie encore et ne saurait se passer du temps.

On ne se souvient pas assez combien, sous la restauration, la liberté constitutionnelle fit de concessions et de sacrifices, descendit à des attitudes peu dignes, se présenta toujours en pétitionnaire obséquieuse. N’avait-on pas capitulé même avec le double vote ? N’entendit-on pas un membre du cabinet rejeter le titre de ministre de la nation ? On s’accommodait à tout avec une souplesse dont beaucoup ont encore conservé le pli. Voilà pour les mœurs politiques. Quant aux idées mêmes, la liberté n’était ni conçue ni représentée comme le principe de la sociabilité, comme un élément positif, comme un point générateur destiné à déduire toutes les conséquences et à les ramener à son propre centre. Non, on ne l’invoquait que comme une garantie, comme une défense contre un ennemi qui n’était autre que le pouvoir, et quand l’heure sonna brusquement de gouverner, personne n’était prêt, ni les hommes qui avaient manoeuvré pendant quinze ans, ni les jeunes courages qui commençaient la vie par une insurrection.

Cependant la révolution française est appelée à fonder son règne ; elle n’est pas une protestation bruyante et stérile, un emportement de colère ; elle n’est pas non plus destinée à se faire la parodiste de la légalité anglaise, surtout au moment où celle-ci se prépare à passer des traditions historiques à un esprit plus général ; elle n’est pas même obligée d’aller s’endoctriner à l’école américaine : elle est elle-même elle est sui generis, elle est un ordre nouveau ; différente du protestantisme religieux après lequel elle est venue, et dont elle doit honorer les efforts, elle a des principes positifs qu’elle débrouille en ce moment ; quelques-uns prennent ce travail pour de l’anarchie, mais peut-être le métal sortira pur de tant de coups de marteau. Les temps homériques de la révolution sont passés ; elle a eu son géant de tribune, ses Ajax de la montagne, son demi-dieu sous la pourpre. Elle est parvenue à une autre époque moins héroï-