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REVUE-CHRONIQUE.

celle du Nord où l’éducation est populaire, tout y est force, puissance, prospérité ; celle du Sud au contraire, où l’ignorance espagnole est traditionnelle, n’offre que misère, faiblesse et anarchie.

Abandonnant la sphère des principes et des considérations générales, l’auteur descend sur le champ épineux des applications, et là on sent l’homme spécial. En effet, M. Naville est un pasteur génevois qui a consacré et consacre encore à l’éducation la plus grande partie de sa vie ; il connaît donc pratiquement son sujet, et ses doctrines sont appuyées sur l’expérience. Nous ne le suivrons pas dans les détails minutieux où il a dû entrer, mais nous rendrons pleine justice à la justesse de ses vues, à la simplicité de ses moyens. Il passe en revue les différens états pour les deux sexes, et il en fait la base de l’éducation élémentaire ; il s’élève contre ces pratiques surannées et funestes qui, sous le nom d’émulation, vont allumer des passions honteuses dans les jeunes âmes ; il veut que le progrès soit la récompense du progrès, et que l’homme élevé, ennobli par l’étude, trouve en soi des motifs suffisans d’émulation. Il établit, sur une base juste et philanthropique les relations d’élèves à maîtres, de maîtres à parens, et demande que ceux-ci concourent de moitié avec l’état au salaire des instituteurs primaires.

Là encore de nombreux exemples ; et à cette occasion, M. Naville paie un large tribut de respect et de reconnaissance à l’abbé Girard, qui, long-temps avant la méthode lancastrienne, avait fondé à Fribourg en Suisse un système d’éducation publique si simple et si salutaire à-la-fois, qu’il avait régénéré la jeunesse de toutes les classes, et promettait à la patrie d’excellens citoyens. Le clergé prit l’alarme, l’ouvrage fut abandonné, mais en dépit de toutes les intrigues, le nom de l’abbé Girard est resté en vénération. Espérons que les nouveaux évènemens de la Suisse auront animé le gouvernement d’un nouvel esprit, et qu’il prendra à tâche de poursuivre l’œuvre de régénération.

Nous voudrions espérer aussi que le gouvernement de France ne sera pas encore long-temps sourd au vœu public, rebelle à l’évidence. La réforme de l’éducation, surtout de l’éducation primaire, est urgente. Nous avons déjà dit que quinze mille communes manquent encore d’écoles, que celles qui existent sont insuffisantes et peu suivies, parce que l’impulsion n’est pas donnée. Il faudrait à la tête de l’éducation nationale un ministre à vues larges, qui portât une main hardie sur les abus et ouvrît des voies nouvelles ; jamais époque ne fut plus propice, jamais on ne sentit plus vivement, plus généralement le besoin d’une réforme dans les mœurs publiques ; et quelle est la base de toute réforme, sinon l’éducation primaire ? Il y aurait long à dire sur tout ceci, et nous aurions bientôt dépassé nos limites ; nous y devons rentrer, et nous le ferons pour remercier l’auteur de son excellent mémoire. Un Suisse, M. le professeur Vinet, remporta, il y a peu d’années, le prix offert par la société de la morale chrétienne sur la liberté des cultes. Un Suisse encore, M. Naville, a remporté aujourd’hui celui de l’éducation. Cette circonstance, que nous relevons avec plaisir, fait honneur à nos voisins de la république.