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REVUE DES DEUX MONDES.

À l’apparition de cette femme, il y avait eu d’abord des cris d’effroi, puis un profond silence de saisissement avait succédé. On entendit dans toute l’église, d’un bout à l’autre, le bruit que fit la tête de la malheureuse en frappant le pavé.

On s’était de tous côtés précipité vers elle ; on avait essayé de la ranimer ; — mais on avait vu d’abord qu’elle n’avait plus besoin d’aucun secours humain. Moi-même, je m’approchai, en tremblant, je me penchai sur elle, pour la considérer de plus près, — car je n’avais pas encore osé la reconnaître ; mais c’était bien elle ! — La pauvre femme n’avait pas été long-temps veuve !

— La volonté du ciel soit faite, dis-je, en me relevant. Mieux vaut pour toi être morte, Mariquita. Tu eusses trouvé dur de vivre pour être appelée : — la muger del ahorcado.

Cette mort n’était qu’un contre-coup de l’exécution du matin. On emporta la bière et on la déposa selon l’usage, dans une petite cour attenante à l’église, où on laissa également le corps de la jeune femme. Ils furent sans doute aussi conduits l’un et l’autre, le lendemain, au campo santo, et l’on dut les y inhumer ensemble. C’était bien juste d’ailleurs. — L’époux avec l’épouse ! On avait marié deux mourans ; leur lit nuptial, ce devait être la terre, une même fosse.

La confrérie de paz y caridad avait accompli toute sa tâche. Elle s’en retourna, par la rue de Tolède, processionnellement, avec ses cierges, ses sonnettes et son crucifix, déposer le tout à Santa-Cruz jusqu’à la plus prochaine exécution.


Le témoin de ce long supplice de quatre jours, celui qui vient de raconter cette double agonie, cette double mort, c’est le même Anglais, le même gentleman, avec l’autorisation duquel on avait inséré, dans cette Revue, les scènes d’une course de taureaux à Aranjuez. Comme les raisons qui n’avaient pas jusqu’ici permis de le nommer n’existent plus, on déclare que les deux récits ont été, purement et simplement, écrits sous la dictée de lord John Feeling.


A. Fontaney.