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ainsi ! Cette idée est belle ! Puisqu’il faut qu’on torture et que l’on tue, que le bourreau torture et tue ! à lui le corps vivant ! qu’il le flétrisse, qu’il le souille, qu’il le déchire, qu’il en arrache l’âme ! mais assez pour lui ! — Aux mains pures, la purification.

Il faisait nuit. Une bière ouverte, garnie de deux lanternes fixées à ses bords, avait été apportée, et posée sur la tablilla. On plaça, dans cette bière, le supplicié revêtu de sa robe de moine, le capuchon abaissé sur sa tête.

Les cloches sonnèrent à San Millan. Une procession en sortit et s’avança vers la horca. Venaient d’abord, en chantant, des prêtres portant bannières et crucifix ; puis la confrérie de paz y caridad, avec tout son appareil ; puis enfin deux longues files d’hommes, d’enfans et de femmes, tenant à la main des lanternes, des bougies, des cierges, des falots allumés.

La procession s’était arrêtée et développée en face de la horca ; prêtres, femmes, enfans, tout le monde se mit à genoux, comme devant un autel, devant la tablilla qui supportait la bière. Après une courte prière, quatre des frères de paz y caridad prirent la bière sur un brancard, et se mirent en marche. Toute la procession les suivit.

Lorsqu’on se trouva devant l’église de San Juan, la bière fut déposée sur les marches du portail. Toute la procession s’agenouilla, et pria encore à ce nouvel autel. Elle se remit bientôt en marche, dans le même ordre, puis descendit la rue de la Cava Baja, et remonta sur la place de la Cebada, dont elle fit le tour, s’arrêtant d’intervalle en intervalle, et chantant le de profundis.

Revenue en face de San Millan, la procession y rentra tout entière. La bière fut placée au milieu du chœur. Tous les cierges brûlaient sur le maître-autel, toutes les lampes sous les voûtes. Chacun s’était agenouillé, tenant à la main son falot ou son cierge ; l’église se trouvait éclairée et inondée de clartés dans ses plus profondes chapelles. Moi, j’avais suivi la procession ; je m’étais mêlé à ce pieux cortége ; j’étais entré dans l’église ; je m’étais mis à genoux parmi ces femmes et ces enfans, et je priais comme eux ; et ma voix se confondait avec ces mille voix et celle de l’orgue qui chantaient ensemble. – Oh ! cette cérémonie était vraiment