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fit d’abord frémir. Ce premier mouvement réprimé, en y réfléchissant un peu, je sentis que pour les deux enfans, c’était un moyen de se voir encore — que c’était le seul. — L’idée m’effraya moins alors. — Ce n’était là seulement d’ailleurs qu’une nouvelle espèce de mariage in extremis.

Remarquant mon trouble et mon saisissement, le frère Pedro s’était un moment interrompu. Il poursuivit bientôt. — Le confesseur, me dit-il, nous ayant donné connaissance de l’aveu de son pénitent et de ses dispositions, et le cas étant urgent, nous avons préparé déjà l’accomplissement de l’œuvre de réparation. Deux de nos frères et le curé de Santa-Cruz ont vu la jeune fille et l’ont décidée. Demain à midi doit se célébrer le mariage ; déjà tout est disposé à cet effet, vous, puisque vous connaissez le jeune homme et semblez vous intéresser à lui, soyez son témoin ; contribuez pour votre part à cette précieuse réconciliation de deux âmes avec Dieu. »

Le frère Pedro parlait avec une conviction de piété qui m’entraînait moi-même ; puis, ce que je voyais aussi ; ce que je voyais surtout dans cette étrange cérémonie, c’était le dernier adieu qu’elle allait permettre aux deux pauvres amans de se dire, c’était le dernier embrassement qu’il leur serait sans doute accordé de se donner.

Je déclarai au frère Pedro que, puisqu’il avait songé à moi, je me ferais un devoir de répondre à son désir, et qu’on pouvait compter sur moi pour la cérémonie ; et sans essayer même de voir ce soir-là le condamné, je me retirai. —

Déjà loin de la prison, échappé de cette atmosphère de douleur et de misère, j’allais me promenant au hasard par les rues, regardant le ciel pur et étoilé, respirant l’air libre, libre moi-même ; — et cependant je ne jouissais pas de toute cette belle nuit. Mon âme troublée ne pouvait en sentir le calme. Trop d’inquiètes et amères pensées m’agitaient ! — À quelle fête, hélas ! m’avait-on convié ? — J’étais donc de noce le lendemain ! — de quelle noce, bon Dieu !