Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.
96
REVUE DES DEUX MONDES.

qu’on l’assoupisse, qu’on lui trouve du sommeil pour ces deux jours et ces deux nuits, quelque atroce que soit le réveil qu’on lui garde !

Au moment où Guzman entrait dans cette seconde chambre de la capilla, où l’introduisaient deux des frères de paz y caridad, tout-à-coup de nombreuses voix, qui semblaient sortir et s’élever de toutes les profondeurs de la prison, chantèrent en chœur :

— « Vierge miséricordieuse, prenez pitié de notre frère qui va mourir, et priez votre fils bien-aimé de lui pardonner dans l’autre vie. »

Le jeune homme tressaillit. Moi-même, vivement ému, je demandai à l’un des frères quelles étaient ces voix.

— « Oh ! me répondit-il fort calme, ce n’est rien ! C’est le premier salve que, selon l’usage, lorsqu’un condamné entre en capilla, chantent les prisonniers réunis dans une cour voisine.

La lugubre prière s’était lentement répandue dans les longs corridors de la prison, et tous ses échos l’avaient lamentablement répétée. — Un profond silence succéda.

L’un des frères fit asseoir Guzman sur l’une des chaises auprès du lit, et lui demanda d’abord s’il ne souhaitait pas quelque chose, lui promettant que la confrérie ferait tous ses efforts pour que son désir, quel qu’il fût s’accomplît.

« — Mille grâces, mon frère ! dit le jeune homme tristement, mille grâces ! Vos offres viennent trop tard. Que ne me les faisiez-vous il y a un mois ? Tous vos secours ne me peuvent plus maintenant servir à rien.

« — Il est trop vrai, mon frère. Mais savions-nous que vous aviez besoin ? — Ne nous demanderez-vous pas cependant les secours de la religion, si vous n’acceptez pas les nôtres ?

— Oh ! oui, répondit le jeune homme, souriant avec amertume ; oh ! oui. La religion, voici son heure. Faites d’un homme ce qu’on fait de ces animaux qu’on enferme dans des cages, pour les engraisser, et qu’on tue ensuite de peur qu’ils ne maigrissent. – Et moi, de même ; quand vous m’aurez bien repu du pain céleste, quand vous m’aurez fait bon chrétien, vous