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LITTÉRATURE.

ment jugeuse ; littérature, politique, hommes et femmes, tout subissait sa censure, et elle défiait celle des autres. Sa maison était en tout un modèle de bon goût.

Au milieu de ces salons remplis de femmes élégantes, de belles femmes, Julie triompha de madame de Roulay. Spirituelle, vive, sémillante, elle eut autour d’elle les hommes les plus distingués de l’assemblée. Pour le désespoir des femmes, sa toilette était irréprochable ; et toutes la lui envièrent. La coupe de la robe, la forme de corsage avaient une grâce inconnue ; Julie en avait commandé, pour elle seule, l’étoffe à Lyon, et fait détruire le dessin.

Lorsque Julie se leva pour aller au piano chanter la cavatine de Tancredi, les hommes accoururent de tous les salons pour entendre cette célèbre voix, muette depuis si long-temps. Un profond silence régna. La marquise éprouva une vive émotion en voyant toutes les têtes pressées aux portes, et tous les regards attachés sur elle. Cherchant son mari, elle lui lança une œillade pleine de feu, d’intelligence, et vit avec plaisir qu’en ce moment son amour-propre était extraordinairement flatté.

Toute heureuse de ce triomphe, elle ravit l’assemblée dans la première partie du morceau ; jamais ni la Malibran, ni la Pasta, n’avaient fait entendre des chants aussi parfaits de sentiment et d’intonation ; mais, au moment de la reprise, elle aperçut, en regardant au hasard dans les groupes, les yeux de sir Arthur, dont le regard fixe la dévorait et ne la quittait pas. Elle tressaillit vivement, et sa voix s’altéra.

Madame de Roulay s’élança de sa place vers la marquise.

— Qu’avez-vous ?… ma chère ?… Oh ! pauvre petite… Elle est si souffrante !… Je tremblais en lui voyant entreprendre une chose au-dessus de ses forces…

La cavatine fut interrompue ; Julie dépitée ne se sentit pas la force de continuer ; elle subit la compassion perfide de sa rivale ; toutes les femmes chuchottèrent ; et, à force de discuter cet incident, elles devinèrent la lutte qui s’était