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RÉVOLUTIONS DE LA QUINZAINE.

Me Hennequin n’a reculé devant aucune des exigences de sa position. Il a montré au grand jour toute la correspondance de cette affaire. Les lettres se croisent du pavillon de madame de Feuchères au Palais-Royal. Ces lettres sont d’un déplorable style ; on y voit tant de politesses, tant de condescendances prodiguées de si haut à cette femme qui était si bas ! Cette femme se montre si souveraine maîtresse des volontés de son imbécile amant ! Que de peines, de soins et de bassesses pour arriver à cet héritage ! Mon Dieu ! que d’efforts pour priver de cet héritage les héritiers naturels ! Quelle belle part on fait à cette femme ! Comme madame de Feuchères joue en grand le rôle de ce valet de Régnard du Légataire universel ! Qu’elle est longue et douloureuse la léthargie de ce dernier Condé ! et quand toutes ces lettres sont épuisées, quand ces anecdotes sont racontées en plein tribunal, quand on a fait assez antichambre chez la maîtresse sérénissime pour déshonorer toute une race, alors arrivent les détails d’intérieur, les dégoûtans détails, les horribles détails. Malheureux Condé ! il a beau se démener et vouloir briser sa chaîne ; sa chaîne l’entoure et le serre de plus belle, il a beau s’emporter contre ce maître impérieux qu’il s’est donné ; son maître l’obsède incessamment ; la nuit et le jour, il le menace, il l’égratigne, bien plus il le frappe à la joue, il le frappe jusqu’au sang ; le sang du vieux Condé de France coule sous les ongles d’une prostituée d’Angleterre, dans ce même palais tout rempli d’honneurs, de gloire et de toute-puissance, où vint Louis xiv, jeune et beau, où respira, où parla Bossuet, où Louis xv conduisit sa plus jolie maîtresse, où Vatel se donna la mort, parce que la marée avait retardé d’un quart d’heure. Essaie ton sang, vieillard, et va baiser la main qui t’a frappé, demande à genoux, Condé, et si tu veux conserver tes deux yeux, écris après-demain ton testament.

Puis enfin, quand ce testament est écrit tout entier de la main du prince, lui qui aimait si peu à écrire de sa main ; quand le nom du duc d’Aumale, cet enfant charmant, beau, naïf et affable, et innocent comme ses sœurs, est accolé en acte authentique au nom adultère de madame de Feuchères, ô malheur ! quand ce nom d’Aumale est assez profané ; quand le vieillard, voyant la branche aînée de sa maison qui va mourir en exil, voulut partager son exil comme il avait partagé son retour ; un matin le valet de chambre de son Altesse le trouva pendu à l’espagnolette de sa fenêtre, comme