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LITTÉRATURE.

Théodore seul manquait à son bonheur, et il ne revenait pas ; prétextant une absence, elle l’avait engagé à dîner dans une garküche (petit restaurant), avec un étudiant de ses amis.

Quand tout le monde fut parti, elle projeta de l’attendre, et prit un livre ; mais impossible de fixer son attention : dans chaque mot elle voyait un meuble dont chaque lettre formait un pied ; ses yeux d’ailleurs se fermaient de lassitude. Elle se décida enfin à se coucher. — « Je ne dormirai pas pour cela, dit-elle, et le lit me reposera. » Mais à peine avait-elle mis la tête sur l’oreiller qu’en dépit d’un petit reste de bougie qui brûlait à côté d’elle, elle s’endormit profondément.

VII. — LE PALAIS.

Oh ! la versatile et ondoyante créature que l’homme !

Théodore, mon héros, toi que j’ai présenté à mes nombreux lecteurs comme un pur esprit planant au-dessus de la fange où barbotte le reste des hommes, est-ce bien toi que je vois assis à cette table, mangeant comme quatre, voracité excusable dans un convalescent ; mais, ce que je n’aurais jamais cru, savourant en gourmet ce que tu manges ? Est-ce bien toi que je rencontre de nouveau, le soir, sous les tentes, chez Weber, entouré de pots de bière double, dans un nuage de tabac de Porto-Rico ? Que dire pour ta justification, et pour la mienne ? Ce noble détachement des intérêts matériels n’avait-il donc d’autre cause que des vêtemens trop courts de trois doigts ? Faudra-t-il attribuer à un gousset mieux garni ce retour si subit vers la vie positive ?

La reine venait d’accoucher, et l’on hâtait les préparatifs de la fête qui devait avoir lieu le surlendemain en l’honneur de son heureuse délivrance. Les marchands ambulans dressaient leurs tentes de toile grise, comme à Noël, et déjà même plusieurs avaient commencé à étaler leurs pacotilles.

Théodore, après s’être séparé de son compagnon de table,