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LES FEUILLES D’AUTOMNE.

déjà les paroles pressées, nombreuses, qu’on dirait tomber de la bouche du vieillard assis qui raconte, et dans les tons, dans les rhythmes pourtant, mille variétés, mille fleurs, mille adresses concises et viriles à travers lesquelles les doigts se jouent comme par habitude, sans que la gravité de la plainte fondamentale en soit altérée. Cette plainte obstinée et monotone, qui se multiplie sous des formes si diverses, et tantôt lugubres, tantôt adorablement suppliantes, la voici :

Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années,
Pour m’avoir fui si vite et vous être éloignées,
 Me croyant satisfait ?
Hélas ! pour revenir m’apparaître si belles,
Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes,
 Que vous ai-je donc fait ?

Et plus loin :

C’en est fait ! Son génie est plus mûr désormais ;
Son aile atteint peut-être à de plus fiers sommets ;
La fumée est plus rare au foyer qu’il allume ;
Son astre haut monté soulève moins de brume ;
Son coursier applaudi parcourt mieux le champ clos ;
Mais il n’a plus en lui, pour répandre à grands flots
Sur des œuvres, de grâce et d’amour couronnées,
Le frais enchantement de ses jeunes années.

Et ailleurs, toute la pièce ironique et contristée qui commence par ces mots : Où donc est le bonheur ? disais-je.

L’envahissement du scepticisme dans le cœur du poète, depuis ces premières et chastes hymnes où il s’était ouvert à nous, cause une lente impression d’effroi, et fait qu’on rattache aux résultats de l’expérience humaine une moralité douloureuse. Vainement, en effet, le poète s’écrie mainte fois Seigneur, Seigneur, comme pour se rassurer dans les ténèbres et se fortifier contre lui-même ; vainement il montre de loin à son amie, dans le ciel sombre, la double étoile de