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LITTÉRATURE CRITIQUE.

dans le pays des fées et dans le monde physique une fois terminés, à reprendre son monde intérieur, invisible, qui s’était creusé silencieusement en lui durant ce temps, et à nous le traduire profond, palpitant, immense, de manière à faire pendant aux deux autres, ou plutôt à les réfléchir, à les absorber, à les fondre dans son réservoir animé et dans l’infini de ses propres émotions. Or, c’est précisément cette œuvre de maturité féconde qu’il nous a donnée aujourd’hui. Si l’on compare avec les Feuilles d’Automne les anciennes élégies que j’ai précédemment appelées un charmant petit poème, et qu’on pourrait aussi bien intituler les Feuilles ou les Boutons de Printemps, on aperçoit d’abord la différence de dimension, de coloris et de profondeur, qui, comme art du moins, est tout à l’avantage de la maturité ; il y a loin de l’horizon de Gentilly à ce qu’on entend sur la Montagne, et du Nuage à la Pente de la Rêverie. Cette comparaison de la muse à ces deux saisons, qu’un été si brûlant sépare, est pleine d’enseignemens sur la vie. À la verte confiance de la première jeunesse, à la croyance ardente, à la virginale prière d’une ame stoïque et chrétienne, à la mystique idolâtrie pour un seul être voilé, aux pleurs faciles, aux paroles fermes, retenues et nettement dessinées dans leur contour comme un profil d’énergique adolescent, ont succédé ici un sentiment amèrement vrai du néant des choses, un inexprimable adieu à la jeunesse qui s’enfuit, aux grâces enchantées que rien ne répare ; la paternité à la place de l’amour ; des grâces nouvelles, bruyantes, enfantines, qui courent devant les yeux, mais qui aussi font monter les soucis au front et pencher tristement l’ame paternelle ; des pleurs (si l’on peut encore pleurer), des pleurs dans la voix plutôt qu’au bord des paupières, et désormais le cri des entrailles au lieu des soupirs du cœur ; plus de prière pour soi ou à peine, car on n’oserait, et d’ailleurs on ne croit que confusément ; des vertiges, si l’on rêve ; des abymes, si l’on s’abandonne ; l’horizon qui s’est rembruni à mesure qu’on a gravi ; une sorte d’affaissement, même dans la résignation, qui semble donner gain de cause à la fatalité ;