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LITTÉRATURE CRITIQUE.

parties de ce poétique développement, d’en marquer la liaison avec les phases qui précèdent, de remettre dans un vrai jour l’ensemble de l’œuvre progressive, dont les admirateurs plus récens voient trop en saillie les derniers jets. Mais elle a elle-même à se défier d’une tendance excessive à retrouver tout l’homme dans ses productions du début, à le ramener sans cesse, des régions élargies où il plane, dans le cercle ancien où elle l’a connu d’abord, et qu’elle préfère en secret peut-être, comme un domaine plus privé, elle a à se défendre de ce sentiment d’une naturelle et amoureuse jalousie qui revendique un peu forcément pour les essais de l’artiste, antérieurs et moins appréciés, les honneurs nouveaux dans lesquels des admirateurs nombreux interviennent. Et d’autre part, comme ces admirateurs plus tardifs, honteux tout bas de s’être fait tant prier, et n’en voulant pas convenir, acceptent le grand homme dans ses dernières œuvres au détriment des premières qu’ils ont peu lues et mal jugées, comme ils sont fort empressés de le féliciter d’avoir fait un pas vers eux, public, tandis que c’est le public, qui, sans y songer, a fait deux ou trois grands pas vers lui, il est du ressort d’une critique équitable de contredire ces points de vue inconsidérés, et de ne pas laisser s’accréditer de faux jugemens. Les grands poètes contemporains, ainsi que les grands politiques et les grands capitaines, se laissent mal aisément suivre, juger et admirer par les mêmes hommes dans toute l’étendue de leur carrière. Si un seul conquérant use plusieurs générations de braves, une vie de grand poète use aussi, en quelque sorte, plusieurs générations d’admirateurs ; il se fait presque toujours de lustre en lustre comme un renouvellement autour de sa gloire. Heureux qui, l’ayant découverte et pressentie avant la foule, y sait demeurer intérieur et fidèle, la voit croître, s’épanouir et mûrir, jouit de son ombrage avec tous, admire ses inépuisables fruits, comme aux saisons où bien peu les recueillaient, et compte avec un orgueil toujours aimant les automnes et les printemps dont elle se couronne !…