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MARINE FRANÇAISE.

cruel aussi de quitter ses foyers pour aller à l’armée ; il est cruel d’être pris par la loi du recrutement, quand la guerre se déclare ; il est cruel, la campagne commencée, si elle dure vingt ans, d’être retenu sous les drapeaux tout ce temps-là, lorsqu’on ne se doit à la patrie que six ans seulement. — La nécessité. — C’est justement ce que nous allions vous dire : la nécessité. La marine a d’impérieuses nécessités ; elle ne peut exister sans matelots, et ceux que la loi du recrutement lui donne à présent sont à peu près comme s’ils n’étaient pas.

Il faut, pour une chose exceptionnelle, un régime exceptionnel. Adoucissez-le, tant que vous le pourrez, par des compensations d’argent pour l’activité et la retraite, c’est juste et indispensable. Si vous ne croyez pas qu’une loi, dans le sens que nous venons de dire, puisse être portée ; favorisez au moins les réengagemens, en faisant un sort meilleur au matelot qui doublera le temps de son service légal.

Il faudra de l’argent, voilà ce que je vous entends objecter ! Eh ! sans doute il faudra de l’argent ! Croyez-vous qu’on puisse faire une marine sans argent. Il faut beaucoup dépenser pour avoir une armée navale : demandez à l’Angleterre. Elle n’épargne rien pour sa marine ; vous, vous êtes parcimonieux, et puis vous venez dire : « Voyez comme les Anglais nous sont supérieurs ! »

De deux choses l’une ; il faut à la France une marine, ou il ne lui en faut pas. Décidez-vous. Si vous ne croyez pas qu’il faille des vaisseaux et des marins pour protéger votre commerce et défendre votre honneur au loin, tout est dit. Mais, au moins, n’allez pas débiter partout que, si vous renoncez à la marine, c’est parce que la France n’en peut pas avoir. Elle le peut, car elle l’a pu déjà. Belle et heureuse économie que de réduire le budget de la marine, parce que l’Angleterre est un colosse, dit-on, avec lequel on ne peut pas lutter ! Ainsi voilà l’argument : « Il ne faut pas faire des efforts inutiles ; l’Angleterre est trop forte ! » Nous répondons : si l’Angleterre est forte, c’est parce que vous ne faites pas assez d’efforts. »