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MARINE FRANÇAISE.

Admirable raisonnement ! ayez un million d’hommes à pied ou à cheval, pour l’éventualité des caprices ou des intérêts militaires des cabinets russe, autrichien, prussien, espagnol ou hollandais ; mais pour le cas de guerre avec les Anglais ou les Russes, n’ayez pas dix mille matelots dans les batteries ou sur les vergues de vos vaisseaux !

— Et pourquoi donc ?

— Parce que vous ne pouvez être à la fois maîtres des océans et de la terre.

— Louis xiv l’a été pourtant ! Qui dit que nous serons toujours ce que nous sommes aujourd’hui ?

Savez-vous d’ailleurs ce qui fait notre infériorité actuelle, et ce qui fit la supériorité de Louis xiv ? C’est la croyance où vous êtes ; c’est la foi qu’avait alors la France en sa puissance maritime. Vous ruinerez votre marine en doutant d’elle ; vous découragerez vos marins en leur répétant sans cesse qu’ils ne valent pas les marins anglais.

L’Angleterre a bien des chances pour ne pas déchoir de sitôt du rang où notre indifférence et la politique des gouvernemens qui ont succédé à celui de Louis xvi l’ont élevée ; une surtout la préserve : tout le monde, dans les trois [1]

  1. il faut un vaisseau, même par économie, parce qu’un bâtiment de ce rang peut faire seul ce qu’il faudrait deux frégates pour accomplir. » Nous nous étonnons que ceux qui demandent la suppression des vaisseaux, et qui ont l’air de se faire un jeu de remettre sans cesse en question la vie de la marine française, n’aient pas proposé aussi la suppression de toute la grosse cavalerie, inutile en temps de paix. Ils ont pensé sans doute qu’il fallait former des cuirassiers et des carabiniers pour le temps de guerre, et ils n’ont pas songé qu’il y a des choses qu’on apprend sur un vaisseau et pas ailleurs. Mais voilà le danger des questions tranchées par les hommes qui n’ont pas pu les étudier ! Les avocats sont nombreux à la Chambre, et ils font les lois ; il n’y a que deux ou trois marins, qui n’ont pas la parole haute, tranchante, et la marine leur échappe ! On doit bien rire de cela en Angleterre et aux États-Unis ! Pour nous, nous en sommes profondément affligés.