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L’AUTRE CHAMBRE.

— « Tu m’avais promis que je commencerais à peindre l’aquarelle cette année, mon papa, dit la jolie Henriette, s’asseyant sur le genou de son père, et lui grattant de sa main blanche le derrière de la tête, attention à laquelle M. Rauer était plus sensible qu’aucun perroquet. »

— « Moi, je veux apprendre aussi à peindre, dit d’un air boudeur la petite Angélique, qui, assise sur un tabouret, tenait dans son tablier un gros chat noir qu’elle endormait avec des chansons. »

Dès le surlendemain, Théodore était installé chez monsieur Rauer en qualité de professeur de ses deux filles.

Ces rapports de propriétaire à locataire, d’écolières à professeur, en firent naître d’autres entre les jeunes habitans des deux rez-de-chaussée de chaque aile. Dorothée devint bientôt l’amie intime d’Henriette, et madame Rauer encouragea sa fille dans une liaison où elle ne pouvait puiser que de bons exemples.

Dès que l’étude leur laissait un instant, et vite et vite nos deux sœurs traversaient la cour et entraient chez leur voisine. Là commençaient ces longs entretiens à voix basse, ces conversations mystérieuses, les deux pieds sur les bâtons de la chaise, et le menton dans le creux des mains ; ces mille confidences que les jeunes filles ont toujours à se faire, et auxquelles jamais garçon ne fut initié, fût-il frère ou amant.

Théodore, enseveli dans des mystères d’une autre espèce, troublait rarement leur tête-à-tête ; et pourtant il est juste de dire que lorsque le hasard l’amenait, la conversation fût-elle plus animée encore qu’à l’ordinaire, jamais le moindre signe de mécontentement n’avait pu être remarqué dans les grands yeux d’Henriette, jamais un regret n’avait altéré la pureté de son beau front.

Au contraire, elle empêchait Dorothée de renvoyer son frère ; elle paraissait goûter un plaisir extrême à les voir ensemble, à être témoin de leurs caresses amicales, et son plus grand bonheur était de prendre leurs deux têtes dans ses mains, et de les faire s’embrasser à tout instant.