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REVUE. — CHRONIQUE.

Mais qu’elle y prenne garde, elle manque le but en voulant le dépasser ; elle méconnaît sa vocation en voulant la compliquer outre mesure. C’est un devoir sérieux et irrésistible pour un artiste de renfermer sa force et sa volonté dans le cercle où son art est compris

Et ainsi, si l’on a blâmé justement David d’avoir sculpté sa peinture ; si l’on a sévèrement accusé Canova de peindre sa sculpture et de briser violemment les lois de son art ; si l’on a eu raison de dire que mademoiselle Sontag, en voulant lutter avec la chanterelle de Paganini, sortait du domaine de la musique vocale, il n’est pas moins vrai non plus que madame Malibran, en voulant jouer son chant, franchit le cercle de l’art spécial qui lui est dévolu.

Qu’elle choisisse du drame ou du chant. Si elle veut jouer, qu’elle renonce au chant ; si elle veut chanter, qu’elle renonce à jouer. Qu’elle étudie à l’école de madame Pasta ; et s’il lui est donné de rencontrer ceux qui ont pu voir MM. Sidons, qu’elle consulte leurs souvenirs.

Mais s’épuiser, comme elle fait, en efforts de tous les instans pour agir sur les yeux des spectateurs, se traîner sur les genoux, rouler sa tête entre les jambes de son père et de son amant, c’est une coquetterie de douleur que le goût réprouve, et que le bon sens condamne.

Mademoiselle Smithson elle-même avait plus de réserve et de dignité, et se contenait davantage. Dans Jane Shore, dans Ophelia, dans Desdemona elle ne pleurait pas à profusion, elle ne prodiguait pas follement les flots de ses tresses échevelées ; de pareils mouvemens, pour atteindre leur but, veulent être sérieusement ménagés, ou bien ils deviennent totalement inutiles.

Par malheur, au Théâtre-Italien, les spectateurs se multiplient et les auditeurs deviennent de plus en plus rares. Ce que nous blâmons, la foule s’empresse de l’approuver et de l’applaudir. Ignorance ou paresse, elle ne veut pas reconnaître qu’il lui faut pour entendre la musique italienne toute une éducation nouvelle. Elle trouve plus simple et plus facile de pleurer à Favart comme à la Porte-Saint-Martin, de retrouver madame Dorval dans madame Malibran. De sa part au moins c’est une économie de temps et d’attention très évidente.

La même chose est arrivée au salon de cette année ; le public des curieux, peu soucieux de couleur ou de dessin, au lieu de se