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LITTÉRATURE CRITIQUE.

lait, ce qu’il appelait, avec un étonnement bien joué, l’imitation anglaise. Le volume a passé de main en main, et il a fallu reconstruire sur nouveaux frais une réputation qui venait de s’écrouler, et de tomber en ruines sous le souffle du premier ouragan.

Mais Il n’a pas perdu courage. Il a découvert à Berlin un homme d’un génie bizarre et singulier, assez riche en inventions pour prêter à des pauvres comme lui. L’Évangile dit quelque part que celui qui a deux manteaux en donne un à celui qui n’en a pas. Il s’est appliqué sans hésitation la lettre et l’esprit du Nouveau-Testament. Il a couvert sa nudité de la pourpre et du lin du voyageur qu’il venait de détrousser. Il a pris à Hoffmann, roi du rêve et de la fantaisie, un des plus beaux joyaux de sa couronne, le conte de mademoiselle Scudéri, l’histoire si profondément pathétique et merveilleuse de Cardillac, ce récit qui fait pleurer et qui dresse les cheveux, et Il a reçu en son nom les louanges que le génie d’un autre avait méritées. Après avoir suivi le précepte de la loi nouvelle, Il a réalisé avec une littéralité singulièrement habile, les vers si connus de Virgile : Sic vos non vobis mellificatis apes. Sic vos non vobis nidificatis aves, etc.

Ce dernier exploit a eu meilleur sort que les autres. Par un hasard que l’histoire de nos relations politiques et sociales explique suffisamment, l’Allemagne littéraire est venue à nous plus tard que l’Angleterre. Hoffmann n’a complété nos soirées que cinq ans après que nous connaissions déjà l’école des lacs et ses principaux disciples. Le jour où Il a su qu’on traduisait Hoffmann, Il a senti d’horribles angoisses. Si Eschyle avait pu revivre et le voir, il eût ajouté un nouvel acte à son Prométhée. Il sentait au dedans de lui-même tout son sang qui se refoulait à son cœur et qui bondissait par élans impétueux et pressés, et qui menaçait de briser sa digue. Depuis l’heure où Il a prévu qu’on allait lui arracher son masque, jusqu’à l’heure où Il a senti au visage l’air frais et cuisant qu’il voulait éviter, ses cheveux