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LES DEUX VOIX.

Et malédiction, et blasphème, et clameur,
Dans le flot tournoyant de l’humaine rumeur,
Passaient, comme le soir on voit dans les vallées
De noirs oiseaux de nuit qui s’en vont par volées.
Qu’était-ce que ce bruit, dont mille échos vibraient ?
Hélas ! c’était la terre et l’homme qui pleuraient.

Frères ! de ces deux voix étranges, inouïes,
Sans cesse renaissant, sans cesse évanouies,
Qu’écoute l’éternel durant l’éternité,
L’une disait : nature ! et l’autre : humanité !

Alors je méditai ; car mon esprit fidèle,
Hélas ! n’avait jamais déployé plus grande aile ;
Dans mon ombre jamais n’avait lui tant de jour ;
Et je rêvai long-temps, contemplant tour à tour,
Après l’abîme obscur que me cachait la lame,
L’autre abîme sans fond qui s’ouvrait dans mon âme.
Et je me demandai pourquoi l’on est ici,
Quel peut être après tout le but de tout ceci,
Que fait l’ame, lequel vaut mieux d’être ou de vivre,
Et pourquoi le Seigneur, qui seul lit à son livre,
Mêle éternellement dans un fatal hymen
Le chant de la nature au cri du genre humain ?


Victor Hugo.


Cette pièce remarquable fait partie des Feuilles d’automne, qui paraîtront sous peu de jours, chez le libraire Eugène Renduel, et qui révéleront dans le poète une manière nouvelle, inattendue, un progrès éclatant et profond.