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LES DEUX VOIX.


Avez-vous quelquefois, calme et silencieux,
Monté sur la montagne, en présence des cieux ?
Était-ce aux bords du Sund ? aux côtes de Bretagne ?
Aviez-vous l’océan aux pieds de la montagne ?
Et là, penché sur l’onde et sur l’immensité,
Calme et silencieux, avez-vous écouté ?

Voici ce qu’on entend : — du moins un jour qu’en rêve
Ma pensée abattit son vol sur une grève,
Et du sommet d’un mont plongeant au gouffre amer,
Vit d’un côté la terre et de l’autre la mer,
J’écoutai, j’entendis, et jamais voix pareille
Ne sortit d’une bouche et n’émut une oreille.

Ce fut d’abord un bruit large, immense, confus,
Plus vague que le vent dans les arbres touffus,
Plein d’accords éclatans, de suaves murmures,
Doux comme un chant du soir, fort comme un choc d’armures,
Quand la sourde mêlée étreint les escadrons,
Et souffle, furieuse, aux bouches des clairons.
C’était une musique ineffable et profonde,
Qui, fluide, oscillait sans cesse autour du monde,
Et dans les vastes cieux, par ses flots rajeunis,
Roulait, élargissant ses orbes infinis,
Jusqu’au fond où son flux s’allait perdre dans l’ombre
Avec le temps, l’espace, et la forme, et le nombre !
Comme une autre atmosphère épars et débordé,
L’hymne éternel couvrait tout le globe inondé.
Le monde enveloppé dans cette symphonie,
Comme il vogue dans l’air, voguait dans l’harmonie.