voyez-vous — et quand même ils seraient très-beaux, — à quoi bon ? je vous le demande : à quoi bon ?
Chatterton ne bougeait non plus qu’une statue. Le silence des sept ou huit assistans était profond et discret ; mais il y avait dans leurs regards une approbation marquée de la conclusion du lord-maire, et ils se disaient du sourire : À quoi bon ?
Le bienfaisant visiteur continua :
— Un bon anglais, qui veut être utile à son pays, doit prendre une carrière qui le mette dans une ligne honnête et profitable. Voyons, enfant, répondez-moi. — Quelle idée vous faites-vous de nos devoirs ? » — Et il se renversa de façon doctorale.
J’entendis la voix creuse et douce de Chatterton qui fit cette singulière réponse en saccadant ses paroles et s’arrêtant à chaque phrase :
« L’Angleterre est un vaisseau. Notre île en a la forme ; la proue tournée au nord, elle est comme à l’ancre au milieu des mers, surveillant le continent. Sans cesse elle tire de ses flancss d’autres vaisseaux faits à son image et qui vont la représenter sur toutes les côtes du monde. Mais c’est à bord du grand navire qu’est notre ouvrage à tous. Le roi, les lords, les communes sont au pavillon, au gouvernail et à la boussole ; nous autres, nous devons tous avoir la main aux cordages, monter aux mâts, tendre les voiles et charger les canons : nous sommes tous de l’équipage et nul n’est inutile dans la manœuvre de notre glorieux navire. »
Cela fit sensation. On s’approcha sans trop comprendre et sans savoir si l’on devait se moquer ou applaudir, situation accoutumée du vulgaire.
— Well ! very-well ! cria le gros Beckford, c’est bien, mon enfant ! c’est noblement représenter notre bienheureuse patrie ! Rule Britannia, chanta-t-il en fredonnant l’air national. Mais, mon garçon, je vous prends par vos paroles. Que diable peut faire le poète dans la manœuvre ?
Chatterton resta dans sa première immobilité. C’était celle