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LITTÉRATURE.

son aise après la trentième bouteille qu’avant la première ; et son esprit, strict, droit, bref, sec et lourd, ne subissait aucune altération dans la soirée. Il se défendait avec bon sens et modération des satiriques accusations de Junius, ce redoutable inconnu qui eut le courage ou la faiblesse de laisser éternellement anonyme un des livres les plus spirituels et les plus mordans de la langue anglaise, comme fut laissé le second Évangile, l’Imitation de J. C.

— Et que m’importent à moi les trois ou quatre syllabes d’un nom ? soupira Stello. Le Laocoon et la Vénus de Milo sont anonymes, et leurs statuaires ont cru leurs noms immortels, en cognant leur bloc avec un petit marteau. Le nom d’Homère, ce nom de demi-dieu, vient d’être rayé du monde par un monsieur grec. Gloire ! rêve d’une ombre ! a dit Pindare, s’il a existé, car on n’est sûr de personne à présent.

— Je suis sûr de M. Beckford, reprit le docteur, car j’ai vu, dis-je, sa grosse et rouge personne en ce jour-là que je n’oublierai jamais. Le brave homme était d’une haute taille, avait le nez gros et rouge ; tombant sur un menton rouge et gros. Il a existé celui-là ! personne n’a existé plus fort que lui. Il avait un ventre paresseux, dédaigneux et gourmand, longuement emmaillotté dans une veste de brocard d’or ; des joues orgueilleuses, satisfaites, opulentes, paternelles, pendantes largement sur la cravate ; des jambes solides, monumentales et goutteuses qui le portaient noblement d’un pas prudent, mais ferme et honorable ; une queue poudrée, enfermée dans une grande bourse qui couvrait ses rondes et larges épaules dignes de porter, comme un monde, la charge de lord-mayor.

Tout cet homme descendit de voiture lentement et péniblement.

Tandis qu’il descendait, Kitty Bell me dit, en huit mots anglais, que M. Chatterton n’avait été si désespéré que, parce que cet homme, son dernier espoir, n’était pas venu, malgré sa promesse.