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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

sais le mieux, afin de voir si on les sait de la même manière que moi ; car il y a diverses manières de savoir les choses.

— Vous avez raison, dit le docteur ; et si vous faisiez plus de cas de cette idée, au lieu de la laisser s’évaporer comme au dehors d’un flacon débouché, vous diriez que c’est un spectacle curieux que de voir et mesurer le peu de chaque connaissance que contient chaque cerveau : l’un renferme d’une science le pied seulement, et n’en a jamais aperçu le corps ; l’autre cerveau contient d’elle une main tronquée ; un troisième la garde, l’adore, la tourne, la retourne en lui-même, la montre et la démontre quelquefois dans l’état précisément du fameux torse, sans la tête, les bras et les jambes ; de sorte que, toute admirable qu’elle est, sa pauvre science n’a ni but, ni action, ni progrès ; les plus nombreux sont ceux qui n’en conservent que la peau, la surface de la peau, la plus mince pellicule imaginable, et passent pour avoir le tout en eux bien complet. Ce sont là les plus fiers. Mais, quant à ceux qui de chaque chose dont ils parleraient posséderaient le tout, intérieur et extérieur, corps et âme, ensemble et détail, ayant tout cela également présent à la pensée pour en faire usage sur-le-champ, comme un ouvrier de tous ses outils, lorsque vous les rencontrerez, vous me ferez plaisir de me donner leur carte de visite, afin que je passe chez eux leur rendre mes devoirs très-humbles. Depuis que je voyage, étudiant les sommités intellectuelles de tous les pays, je n’ai pas trouvé l’espèce que je viens de vous décrire.

Moi-même, monsieur, je vous avoue que je suis fort éloigné de savoir si complètement ce que je dis ; mais je le sais toujours plus complètement que ceux à qui je parle ne me comprennent et même ne m’écoutent. Et remarquez, s’il vous plaît que la pauvre humanité a cela d’excellent, que la médiocrité des masses exige fort peu des médiocrités d’un ordre supérieur, par lesquelles elle se laisse complaisamment et fort plaisamment instruire.

Ainsi, monsieur, nous raisonnions sur Chatterton, j’allais vous faire, avec une grande assurance, une dissertation scien-