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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

le jour où elle a commencé de fendre l’air du front et de l’aile, elle ne s’est pas posée à terre une fois : si elle s’y abat, ce sera pour y mourir, je le sais. Jamais le sommeil des nuits n’a été une interruption au mouvement de ma pensée ; seulement je la sentais flotter et s’égarer dans le tâtonnement aveugle du rêve, mais toujours les ailes déployées, toujours le cou tendu, toujours l’œil ouvert dans les ténèbres, toujours élancée vers le but où l’entraînait un mystérieux désir. Aujourd’hui la fatigue accable mon âme, et elle est semblable à celles dont il est dit dans le Livre saint : Les âmes blessées pousseront leurs cris vers le ciel.

» Pourquoi ai-je été créé tel que je suis ? J’ai fait ce que j’ai dû faire, et les hommes m’ont repoussé comme un ennemi. Si dans la foule il n’y a pas place pour moi, je m’en irai.

» Voici maintenant ce que j’ai à vous dire :

» On trouvera dans ma chambre, au chevet de mon lit, des papiers et des parchemins confusément entassés. Ils ont l’air vieux et ils sont jeunes : la poussière qui les couvre est factice ; c’est moi qui suis le poète de ces poèmes ; le moine Rowley, c’est moi. J’ai soufflé sur sa cendre ; j’ai reconstruit son squelette ; je l’ai revêtu de chair ; je l’ai ranimé ; je lui ai passé sa robe de prêtre : il a joint les mains et il a chanté.

» Il a chanté comme Ossian. Il a chanté la Bataille d’Hastings, la tragédie d’Ella, la ballade de Charité, avec laquelle vous endormiez vos enfans ; celle de Sir William Canynge, qui vous a tant plu ; la tragédie de Goddwyn, le Tournoi et les vieilles Églogues du temps de Henri ii.

» Ce qu’il m’a fallu de travaux durant quatre ans, pour arriver à parler ce langage du xiiie siècle, eût rempli les quatre-vingts années de ce moine supposé. J’ai fait de ma chambre la cellule d’un cloître ; j’ai béni et sanctifié ma vie et ma pensée ; j’ai raccourci ma vue et j’ai éteint devant mes yeux les lumières de notre âge ; j’ai fait mon cœur plus simple, et l’ai baigné dans le bénitier de la foi catholique ; je me suis appris le parler enfantin du vieux temps ; j’ai écrit, comme le roi Harold au duc Guillaume, en demi-