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L’ÉCHELLE DE SOIE.

porte du salon se referma, et je croyais la voir encore, la charmante apparition. Quand il fut dit que nous ne la reverrions plus que le lendemain, nous fûmes d’une grande tristesse son père et moi ; il se rejeta dans son fauteuil de très-mauvaise humeur, et moi, regardant la pendule tout à l’heure si rapide, si lente à présent, je pensai avec un soupir qu’il fallait que cette aiguille fit le tour du cadran avant de vous revoir, Fanny ! Il y eut, entre le général et moi, un silence qui dura plus d’un quart d’heure. Pendant tout ce quart d’heure, le vieillard et moi, muets tous deux, nous eûmes une de ces longues conversations qui viennent du cœur, si pleines de choses, et de tendresses et de sermens et d’amitié, une conversation du sixième sens entre un vieillard indulgent et un jeune homme honnête qui se donnent, lui un fils de plus, lui un second père. C’est ainsi que peu à peu nous fûmes consolés, pensant tous les deux au lendemain.

Quand nous eûmes bien épanché notre cœur dans ce silence, quand tous nos secrets intimes de lui à moi, de moi à lui, furent épuisés, nous retrouvâmes la parole lui et moi, et la conversation reprit son cours.

— Approche-moi le thé, me dit-il ; charge ma pipe, ranime le feu, et buvons du thé, puisqu’aussi bien, pauvre jeune homme, le rhum vous monte au cerveau comme le tabac ! Trop heureux encore si monsieur peut dormir quand il aura deux ou trois tasses de thé dans le cerveau !

Il se prit à sourire. J’approchai le thé, je découvris la théière, je chargeai la pipe ; le tabac et le thé jetèrent leur arôme. Le général se retourna pour regarder le portrait de sa fille ; puis, de sa fille, son regard se porta sur moi, sur le thé, sur sa pipe ; il avait en cet instant toute la physionomie d’un homme heureux.

— Quand je suis avec toi, me dit-il, une chose me chagrine et me gêne étrangement. Je suis mal à l’aise avec vous autres, jeunes gens d’une époque correcte et stupide ; vous n’avez pas assez de vices pour un vieux comme moi : je