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LITTÉRATURE.

devant les Pyramides. Un d’entre eux a osé faire un poème épique au milieu du désert. Profanes ! Moi, j’ai été plus respectueux que cela. J’ai fumé dans le désert, j’ai fumé aux Pyramides, j’ai fumé partout et toujours. La première fois que je vis ta mère, ma Fanny, elle recula de trois pas ! Moi, j’avais les lèvres enflées à force d’avoir pensé à ta mère. Elle était si douce et si jolie, et si parfumée ! Elle aimait avec transport les fleurs, les odeurs suaves, le linge brodé et odorant ! Son œil était si pur, sa joue si blanche ! Hé bien, ma fille, je l’avais apprivoisée ta mère. Que de fois elle a posé sa lèvre si mince et si fraîche sur mes lèvres enflées par le tabac ! Que de fois elle a chargé ma pipe de sa main ! Tu as vu le cerf de Franconi, ma fille ; quand le cerf avait tiré son coup de fusil, il respirait l’odeur de la poudre : ainsi était ta mère. J’allais à elle, je lui tendais ma pipe en faisant les gros yeux. Ta mère arrivait à petits pas, elle tendait son joli nez sur ma pipe, chaude encore ; puis elle se sauvait en éternuant, la peureuse ; rentrée chez elle, elle déroulait ses cheveux, elle changeait de robe et de mouchoir, et Dieu sait toute l’eau de Portugal qui y passait !

Disant ces mots, l’œil du bon général était légèrement humide. Vous avez vu cela souvent : une larme qui roule dans un œil vif encore et qui reste suspendue à de gros cils, puis une joue qui se colore, honteuse de se sentir humide ! Fanny jeta ses deux bras au cou de son père, elle appuya sa tête blonde sur la poitrine du vieillard ; ce fut alors seulement que cette larme, après avoir roulé sur le visage du général, rejaillit sur le visage de son joli enfant : le bon père se sentit soulagé.

— Bonsoir, dit-il, bonsoir ma fille ; bonsoir, mon bon garçon : c’est cela une femme ! Jules, me dit-il ; une femme douce, blanche, parfumée comme sa mère, et ne craignant pas plus le tabac et la fumée que moi son père. Aussi je l’ai élevée pour cela, mon enfant ! mon enfant à moi ! ma vie ! mon plus beau morceau d’ambre, orné d’or et de diamans ! Quand elle vint au monde et que sa mère me la donna d’une