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JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

éprouver un homme dans son union avec un autre être. Ainsi, il l’arme contre tout, contre la société aussi bien que contre la nature ; il a voulu faire un homme, toujours libre, toujours simple et toujours courageux. Cette fois la philosophie avait parlé trop haut pour que la religion pût garder le silence. Le discours sur l’inégalité des conditions avait passé sans encombre ; la Nouvelle Héloïse avait évité la censure ecclésiastique ; l’Émile n’eut pas ce bonheur ; et Christophe de Beaumont, métropolitain au siége de Paris, lança un mandement contre l’œuvre de Jean-Jacques. L’archevêque ignorait où le mènerait cette affaire. Jean-Jacques, citoyen de Genève, répond par la presse, et devant le public, à Christophe de Beaumont. Chose inouie ! obscur étranger, il apostrophe le premier prince du clergé de France, s’attache à lui, le poursuit de proposition en proposition, et l’Église catholique se trouve engagée dans une polémique qu’elle est incapable de soutenir ; polémique acérée où le Genevois malmène sans pitié l’archevêque. De quelle ironie le réformé fustige ce prêtre ! Comme il oppose à cette religion de mandement et de sacristie l’esprit de l’Évangile ; et comme il se montre plus religieux, lui laïc, que ce prince de l’Église, affublé de ses dentelles et de ses superstitions ! Les lettres écrites de la Montagne concernent à la fois la religion et la politique. Jean-Jacques y défend l’Émile et le Contrat social. Ces lettres, qui sont, chronologiquement, un de ses derniers ouvrages, peuvent servir, dans l’ordre des idées, de transition entre la partie morale et religieuse et la partie politique des œuvres du philosophe. Il y parle à la fois de la religion et de la liberté, de Dieu, du christianisme et de lui-même ; et il teint ces abstractions générales de couleurs de sa personnalité. Ses trois ouvrages politiques sont ses Lettres sur la Législation de la Corse, ses Considérations sur le gouvernement de Pologne et sur sa reformation projetée en avril 1772, le Contrat social. Jean-Jacques méritait bien d’être considéré en Europe comme un maître dans la science politique ; et vers 1764, quand la Corse voulut régulariser, sous