Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/332

Cette page a été validée par deux contributeurs.
320
LITTÉRATURE CRITIQUE.

pas foi aujourd’hui ? À toi notre âme pour vingt-quatre heures ! »

Tout le monde a entendu parler de cette miraculeuse Peau de Chagrin, avec laquelle il n’y a qu’à désirer pour obtenir, mais qui diminue alors et qui retranche à chaque souhait plusieurs années de vie à son possesseur. Ce roman a déjà subi je ne sais combien d’analyses, de louanges, de critiques. Je suis honteux de venir si tard faire ma petite chicane à l’auteur, qui probablement, comptait sur la prescription, et se croyait bien tranquille.

Je sais qu’il arrive souvent qu’un homme, en proie à quelque violent orage de l’âme, agisse de manière à dérouter toutes les prévisions. Cependant je sens toujours en moi diminuer l’illusion et l’intérêt quand le poète choque la vraisemblance dans le jeu des passions. Une femme vaine, froide et coquette a influé d’une manière profonde et fatale sur la vie de Raphaël. Pour Fœdora, il a souffert toutes les tortures ; à quoi ne s’est-il pas réduit, rien que pour paraître devant elle avec des bottes décentes et un gilet blanc ! dans les inexprimables angoisses de sa misère et de sa fierté, il s’est mis aux gages d’un fabricant de mémoires, stupide comme la mule de don Miguel. Pour Fœdora, il a voulu éteindre son âme et se tuer dans la débauche… Oh ! que de fois l’infortuné a dû implorer quelque puissance magique pour la voir amoureuse folle de lui, cette Fœdora, la femme sans cœur, Fœdora la superbe, pour la voir humble comme la Courtisanne de La Fontaine ou la Marion de Victor Hugo, versant des larmes d’amertume et de repentir, et attendant d’un mot de lui toutes les joies du ciel ou tous les tourmens de l’enfer… Et au moment où il va mourir, mourir à cause de cette femme, au moment où sa pensée doit en être obsédée, il demande à son talisman… Un bon souper !…

M. de Balzac a de l’observation au suprême degré, et une grande imagination de style. Le mot fascination revient souvent dans ses phrases, et je n’en trouve pas de plus juste pour exprimer l’effet qu’elles produisent. Rien de plus éblouis-