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M. DE BALZAC.

ture d’un livre. Malheur alors à la race parasite des imitateurs, qui pousse aux pieds des grands hommes, et se nourrit de leur écorce. On sera forcé d’être neuf, d’être bien soi-même, afin d’avoir un nom significatif et d’une valeur intrinsèque. Plusieurs écrivains avaient déjà senti qu’un titre, fût-il triple ou quadruple, ne pouvait qualifier leur œuvre et ce qu’elle avait d’intime ; aussi, forcés de se conformer à l’usage, ils en avaient pris un au hasard, le premier venu : Le Rouge et le Noir, Plick et Plock, etc.… Si, comme l’auteur de Waverley, on veut garder l’anonyme afin d’être connu plus vite, rien n’empêchera qu’on n’adopte un signe caractéristique ou non (le caractéristique doit être dans l’œuvre), une guillotine, par exemple ; un ballon, une ancre, ou quelque hiéroglyphe dans le genre de celui que M. de Balzac a choisi pour épigraphe à sa Peau de Chagrin.

M. de Balzac a publié, il y a quelques années, un roman walterscotté, pour me servir d’une de ses expressions, où l’on trouve de l’intérêt, de la passion, et quelque peu d’invraisemblance ; puis un recueil de Scènes de la vie privée, qui atteste un travail fructueux et des progrès rapides. Il s’est acquis de la célébrité par ces deux ouvrages où il a mis son nom, et plus encore par un troisième où il ne l’a pas mis. Est-ce sérieusement que, dans la préface de la Peau de Chagrin, l’auteur se plaint des insinuations malveillantes dont il a été l’objet à cause de sa Physiologie du Mariage ? En tout cas, cela nous a valu un charmant plaidoyer, où nous apprenons avec joie que M. de Balzac n’est point un vieillard, ni un roué, ni un ivrogne, mais un franc buveur d’eau, et un travailleur tenace et consciencieux, ce dont le public avait déjà pu s’apercevoir, au moins pour ce qui est de la ténacité, et certes il ne s’en plaint pas ; puis encore un examen curieux des disparates ou des analogies qui se sont rencontrées entre le caractère des auteurs et celui de leurs productions, une méditation psychologique sur la merveilleuse faculté que les hommes de génie ont d’inventer des crimes atroces, tout en restant des modèles de candeur et de vertu.