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POÈTES D’INSTINCT DE L’ANGLETERRE.

têtes rondes. Après une verte et joyeuse vieillesse, il termina sa vie, tenant auberge à Westminster.

Dans sa liste de poètes primitifs, Southey cite encore un garçon de ferme, que ses talens poétiques, étonnans pour sa condition, mais fort incomplets, tirèrent de l’obscurité, et qui ne finit pas si heureusement que le batelier de la Tamise. Attiré dans une société toute basée sur la vanité, avec une âme faible et tendre, le malheureux fut victime de l’ambition qu’on avait allumée en lui. À mesure que son goût s’épurait, ses productions baissaient de mérite ; il le sentait ; et, considéré, jouissant d’un beau bénéfice, dans une situation en apparence plus heureuse qu’il ne l’eût rêvée dans ses jours de jeunesse et de joie, alors qu’il fanait les foins, et racontait en vers ses travaux, ses plaisirs des champs, il devint fou de désespoir, et se noya. C’est tout au plus si aujourd’hui quelques érudits se rappellent que le dîner des faucheurs, qui se donne tous les ans, le 30 juin, à Charlton, fut fondé à perpétuité, par lord Palmerstone, en l’honneur de Stephen Duck.

Une laitière, poète aussi, Ami Yearsley, mourut folle, comme le poète faucheur. La curiosité et la protection du riche l’allèrent chercher dans sa misère, accouchant entre sa mère expirante de besoin, un mari grossier, et six enfans sans pain. Le goût exquis de cette pauvre jeune paysanne, son esprit délicat, des pensées élevées, des vers heureux, excitèrent l’admiration des oisifs. On s’occupa d’elle, on l’instruisit, on voulut la former ; mais, comme le rossignol mis en cage, et sifflé avec la serinette, la pauvre effarouchée oublia son chant natal, fit quelques tentatives malheureuses, et finit une courte vie de souffrance et de lutte dans un hôpital de fous.

Quittons vite ces infortunés, pour qui la poésie, destinée à charmer, à ranimer l’âme, fut un poison destructeur, et revenons à ceux dont elle embellit la modeste existence, à Woodhouse, le savetier, que Shenstone trouvait plus heu-