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LITTÉRATURE.

D’ordinaire, en pareil cas, pour punir le taureau de sa lâcheté, on lui inflige le supplice des banderillas de fuego (ce sont des flèches garnies d’un artifice qui s’enflamme avec détonation quand on les lui pique dans le cou), à Madrid on n’use pas d’autre moyen. Les chiens ne figurent guère qu’aux courses d’Aranjuez.

C’était donc un épisode inaccoutumé, et des plus curieux.

Les alguazils se mirent en mouvement, afin de faire exécuter au plus vite les ordres du roi.

Bientôt furent amenés deux énormes chiens gris. Deux chulos de la place les conduisaient, ou plutôt étaient conduits par eux, car les terribles dogues, mal retenus par les mouchoirs passés autour de leurs cous, ayant aperçu déjà leur ennemi, entraînaient rapidement leurs guides vers lui. Lorsqu’ils furent à vingt pas du taureau, on les lâcha ; alors ils se précipitèrent sur lui avec acharnement, cherchant à lui mordre les oreilles et à s’y attacher ; mais le taureau, devenu brave contre ces nouveaux adversaires, les attendait, tête baissée, et les recevant sur ses cornes, les fit successivement sauter à trente pieds en l’air, trois ou quatre fois de suite.

Tous deux étaient meurtris, blessés et couverts de sang ; ils revenaient cependant à la charge, mais faiblement et en aboyant, ce qui est pour eux un signe de détresse.

Il fallait un renfort. Deux autres chiens plus grands et plus forts furent amenés et lancés de même.

La lutte n’était plus égale. Tous quatre à la fois attaquèrent le taureau, qui résista bien quelques instans encore, mais dut bientôt céder.

À chacune de ses oreilles deux chiens s’étaient déjà suspendus. Il avait beau les secouer par de furieux coups de tête et les faire tournoyer, se fouettant avec violence les flancs de leurs corps, ils ne lâchaient pas prise.

Vaincu par la souffrance, il se résigna, baissa la tête, et ne bougea plus.