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VOYAGES.

achète, et le sou qui le paie ; l’autre, petite fille asthmatique qui comprend que la terre est grande, car elle a entendu dire qu’il y avait un pays de l’autre côté de Liddes, et un pays de l’autre côté du couvent. À mesure qu’il parvient de hauteurs en hauteurs, tout prend un caractère extraordinaire pour le voyageur qui réfléchit sur ce qu’il éprouve et sur ce qu’il voit ; son propre malaise lui apprend qu’il envahit les frontières d’une création dont l’accès lui était défendu. Ces rois de l’air qu’il a si souvent perdus de vue au fond des cieux n’osent plus le suivre dans ces régions, où l’on cesse de goûter une vie complète ; et, comme le dit magnifiquement Chénedollé dans des vers perdus pour sa fortune littéraire, et non pas pour sa gloire, ils rampent à ses pieds dans la nue. Les insectes, plus agiles, plus vivaces, et sur lesquels la privation de l’air agit bien plus lentement, s’élèvent, à la vérité, aux dernières limites de la végétation ; mais ce n’est plus l’Apollon du Mont-Blanc, dont les ailes, blanches comme les glaciers, déploient des cercles de carmin, vermeils comme le Rhododendron ; ce n’est plus cette belle Lamie-Alpine, à la robe nacre de perle relevée par de larges bandes de velours noir, qui se pend aux sapins de Servoz : tout au plus quelque araignée aux pates grêles arpente les rochers nus, ou quelque scolopendre hideuse étend ses mille pieds sous une pierre humide. L’esprit ne peut se défendre de je ne sais quelle dérision satirique et amère en voyant le rebut des créatures de Dieu arrivé à ce point où l’aigle ne peut monter.

Le monde végétal finit à peu près en même temps par une suite de dégradations dignes de l’intérêt du botaniste. Est-il vrai qu’il trouve jusqu’au sommet une espèce de joubarbe décrite par l’illustre Decandolle[1] ? Je ne l’ai pas aperçue, mais j’ai vu disparaître la dernière immortelle, et ce n’est pas la seule immortalité de convention dont l’expérience ait démenti le brevet. Cependant la nature, toujours fidèle à ses harmonies, n’a pas refusé quelque décoration à ces rochers :

  1. Sedum saxatile, Var.