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UN PRESSENTIMENT.

en la suivant machinalement des yeux, un mouchoir blanc qui s’agitait à la portière, pour dire encore : adieu, adieu.

Peu à peu, cependant, cette impression s’effaça. Le lendemain, sa raison, vaincue d’abord par une terreur superstitieuse, avait repris le dessus. De fait, il oublia cette circonstance de l’adieu, et puis il se mit à combler le vide qu’il ressentait, et ne fut sobre d’aucun des plaisirs et des excès où le poussaient la vigueur de son organisation, l’exubérance de ses forces, et l’orgueil d’exercer sur ses compagnons d’orgie l’empire de sa supériorité.

Il travailla aussi, et en peu d’heures d’étude, il faisait plus que les autres en plusieurs jours.

Ainsi le temps allait pour lui.

Il y avait déjà près de deux mois qu’il était éloigné de sa tante. Elle était bien toujours dans son cœur ; son souvenir se réveillait souvent encore ; il retrouvait encore ces méditations profondes, ces extases pendant lesquelles certains êtres séparés par une longue distance sont mis en rapport par de mystérieuses communications, par des magnétismes inconnus, obéissant à des élans d’amour, et confondant, malgré l’espace, des âmes qui se veulent.

Pourtant, il faut le dire, l’éloignement avait agi déjà sur lui. Il subissait moins souvent l’influence de cette affection. L’image de sa jeune tante était moins alerte qu’autrefois ; elle lui apparaissait moins fréquemment. Le charme existait toujours, mais il avait perdu de sa puissance.

Ainsi va le monde, ainsi sont faits les cœurs d’homme, ainsi tendent-ils tous à calmer le temps et l’absence.

Si bien qu’il était souvent rieur et d’une gaîté peu soucieuse.

Tel il fut le 27 février 18.. ; je n’oublierai pas ce jour. La veille on avait reçu des voyageurs de bonnes et heureuses nouvelles, et dans la journée son humeur fut charmante.

Arriva la soirée ; on causa d’eux beaucoup dans le salon de son père : on pensait au plaisir de les revoir bientôt. On les disait heureux d’échapper à l’hiver, de vivre sous un beau