Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
VOYAGES.

que le séjour rigoureusement nécessaire pour régler les montres, acheter des vivres frais et remplacer l’eau et le bois consommés. Or, j’avais calculé que cinq jours me suffiraient pour ce triple objet. Cet espace de temps était tellement limité, et il eût été si activement employé, que nos marins n’eussent pas eu le temps de songer à leur désertion, ou du moins d’en préparer les moyens.

Les tristes journées passées sur les récifs et la relâche prolongée qui en était devenue la suite inévitable, avaient complètement dérangé mes combinaisons. Les matelots avaient eu tout le temps de s’aboucher avec les chefs de Tonga ; quelques-uns connaissaient déjà plusieurs mots de la langue. D’ailleurs les Anglais établis sur l’île ne demandaient pas mieux que de servir d’interprètes aux uns et aux autres. Quelques-uns de ces Anglais, déserteurs eux-mêmes de leurs navires, encourageaient sans doute les Français à suivre leur exemple, et peignaient leur propre félicité sous de brillantes couleurs. Enfin, les chefs, jaloux d’attacher des Européens à leur service, n’épargnaient ni promesses ni séductions pour les engager à se fixer parmi eux. Il n’en fallait pas tant pour égarer des individus qui ne tenaient nullement à leur patrie, qui n’avaient aucune sorte d’attachement pour leurs officiers, et qui, en échange des dangers, des fatigues et des privations d’une longue et pénible campagne, voyaient s’ouvrir devant eux la perspective d’une existence douce et oisive au sein de toutes les jouissances physiques. Le complot fut tramé, et il est probable que plusieurs chefs y trempèrent, puisqu’il parvint à la connaissance des missionnaires établis à plus de dix milles de notre mouillage.

Je ne pouvais douter de l’existence d’un complot, car, dès l’époque où, suspendus le long des brisans, nous n’attendions que l’instant où le navire s’engloutirait dans les flots, je savais que des hommes avaient poussé l’oubli de leurs devoirs et de tout sentiment d’honneur jusqu’à témoigner ouvertement le désir de voir périr leur bâtiment, dans l’espoir d’aller vivre avec les naturels. Toutefois j’avais pris