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LITTÉRATURE.

— Prenez garde qu’il ne vous arrive quelque accident…

— Un malheur est toujours imprévu… répondit-il en souriant…

— La voiture de monsieur !… cria Guillaume.

M. d’Aiglemont se leva, baisa la main de madame de Wimphen, et, se tournant vers Julie :

— Madame, si je périssais victime d’un sanglier…

— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda madame de Wimphen…

— Allons, tenez, dit-elle à Victor.

Puis, elle sourit en répondant à Louisa :

— Tu vas voir !…

Et Julie tendit son col à son mari, qui s’avança pour l’embrasser ; mais la marquise se glissa de telle sorte que le baiser conjugal glissa sur la ruche de sa pèlerine.

— Vous en témoignerez devant Dieu !… reprit M. d’Aiglemont. Il me faut un firman pour obtenir même cette légère faveur !… Voilà comment ma femme entend l’amour… Elle m’a amené là, je ne sais par quelle ruse… Bien du plaisir…

Et il sortit.

— Mais ton pauvre mari est vraiment bien bon !… s’écria Louisa quand les deux femmes se trouvèrent seules…

— Oui… répondit Julie, mais son obéissance est fondée en partie sur la grande estime que je lui ai inspirée. Je suis une femme très-vertueuse selon les lois ; je lui rends sa maison agréable ; je ferme les yeux sur ses intrigues ; je ne prends rien sur la fortune ; il peut gaspiller les revenus à son gré ; j’ai soin seulement de conserver notre capital… À ce prix, j’ai la paix !… Il ne s’explique pas, ou ne veut pas s’expliquer mon existence. Mais si je mène ainsi mon mari, ce n’est pas sans redouter les effets de son caractère… Je suis comme un conducteur d’ours qui tremble qu’un jour la muselière ne se brise… Si Victor croyait avoir le droit de ne plus m’estimer, je n’ose prévoir ce qui pourrait arriver ; car il est violent, il est plein d’amour-propre, de vanité ; il n’a pas