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LA ROSE ROUGE.

habit de général ; il resterait long-temps ; rêve, rêve, pauvre Blanche.

Il y a un âge de la jeunesse où le malheur est si étranger à l’existence, qu’il semble qu’il ne pourra jamais s’y acclimater ; quelle que triste que soit une idée, elle s’achève par un sourire. C’est que l’on ne voit la vie que d’un côté de l’horizon ; c’est que le passé n’a pas encore eu le temps de faire douter de l’avenir.

Marceau rêvait aussi, mais lui voyait déjà dans la vie ; il connaissait les haines politiques du moment ; il savait les exigences d’une révolution ; il cherchait un moyen de sauver Blanche qui dormait. Un seul se présentait à son esprit, c’était de la conduire lui-même à Nantes, où habitait sa famille. Depuis trois ans, il n’avait vu ni sa mère ni sa sœur, et se trouvant à quelques lieues seulement de cette ville, il paraissait tout naturel qu’il demandât une permission au général en chef. Il s’arrêta à cette idée. Le jour commençait à paraître, il se rendit chez le général Westermann ; ce qu’il demandait lui fut accordé sans difficulté. Il voulait qu’elle lui fût remise à l’instant même, ne croyant pas que Blanche pût partir assez tôt ; mais il fallait que cette permission portât une seconde signature, celle du représentant du peuple Delmar. Il n’y avait qu’une heure qu’il était arrivé avec la troupe de l’expédition, il prenait dans la chambre voisine quelques instans de repos, et aussitôt son réveil, le général en chef promit à Marceau de la lui envoyer.

En rentrant à l’auberge, il rencontra le général Dumas qui le cherchait. Les deux amis n’avaient pas de secrets l’un pour l’autre ; bientôt il sut toute l’aventure de la nuit. Tandis qu’il faisait préparer le déjeuner, Marceau monta chez sa prisonnière, qui l’avait déjà fait demander ; il lui annonça la visite de son collègue, qui ne tarda pas à se présenter : ses premiers mots rassurèrent Blanche, et après un instant de conversation, elle n’éprouvait plus que la gêne inséparable de la position d’une jeune fille, placée au milieu de deux hommes qu’elle connaît à peine.