Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
LA ROSE ROUGE.

du champ de bataille comme aux gradins d’un cirque, battent des mains aux vainqueurs ; quand les sons frémissans des instrumens de cuivre font tressaillir les fibres courageuses du cœur, quand la fumée de mille canons vous couvre d’un linceul, quand amis et ennemis sont là pour voir comme vous mourrez bien ; c’est sublime. Mais la nuit, la nuit !… Ignorer comment on vous attaque et comment vous vous défendez, tomber sans voir qui vous frappe ni d’où le coup part, sentir ceux qui sont debout encore vous heurter du pied sans savoir qui vous êtes, et marcher sur vous !… Oh ! alors, on ne se pose pas comme un gladiateur, on se roule, on se tord, on mord la terre, on la déchire des ongles ; c’est horrible.

Voilà pourquoi cette armée marchait triste et silencieuse ; c’est qu’elle savait que de chaque côté de sa route se prolongeaient de hautes haies, des champs entiers de genets et d’ajonc, et qu’au bout de ce chemin il y avait un combat, un combat de nuit.

Elle marchait depuis une demi-heure ; de temps en temps, comme je l’ai déjà dit, un rayon de la lune filtrait entre deux nuages, et laissait apercevoir, à la tête de cette colonne, le paysan qui servait de guide, l’oreille attentive au moindre bruit, et toujours surveillé par les deux soldats qui marchaient à ses côtés. Parfois on entendait sur les flancs un froissement de feuilles, la tête de la colonne s’arrêtait tout à coup. Plusieurs voix criaient qui vive ? … Rien ne répondait, et le paysan disait en riant : C’est un lièvre qui part du gîte. — Quelquefois les deux soldats croyaient voir devant eux s’agiter quelque chose qu’ils ne pouvaient distinguer, ils se disaient l’un à l’autre : Regarde donc !… et le Vendéen répondait : C’est votre ombre, marchons toujours. — Tout à coup, au détour du chemin, ils virent se dresser devant eux deux hommes ; ils voulurent crier ; l’un des soldats tomba sans avoir eu le temps de proférer une parole ; l’autre chancela une seconde, et n’eut que le temps de dire : « À moi ! »