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LE RENDEZ-VOUS.

gure. Elle tendit sa jeune main à la marquise, qui semblait la solliciter, et quand leurs doigts se pressèrent, ces deux femmes achevèrent de se comprendre.

— Pauvre orpheline !… ajouta la marquise.

Ce mot fut un dernier trait de lumière pour Julie. Elle crut entendre la voix prophétique de son père.

— Vous avez les mains brûlantes… demanda la vieille femme. Est-ce qu’elles sont toujours ainsi ?

— La fièvre ne m’a quittée que depuis sept à huit jours seulement, répondit-elle.

— Vous aviez la fièvre, et vous me le cachiez ?…

— Je l’ai depuis un an… dit Julie avec une sorte d’anxiété pudique.

— Ainsi, mon bon petit ange, reprit la marquise, le mariage a été jusqu’à présent comme une longue douleur pour vous ?…

La jeune femme n’osa répondre ; mais elle fit un geste affirmatif qu’il lui fut impossible de réprimer.

— Vous êtes donc malheureuse ?…

— Oh ! non, ma tante !… Victor m’aime à l’idolâtrie, et je l’adore, il est si bon !

— Eh bien !… vous l’aimez, et vous le fuyez, n’est-ce pas ?

— Oui… quelquefois…

— N’êtes-vous pas souvent troublée dans la solitude par la crainte qu’il ne vienne vous y surprendre ?

— Hélas ! oui, ma tante ; mais je l’aime bien, je vous assure !…

— Ne vous accusez-vous pas en secret vous-même de ne pas partager son bonheur ? et, parfois, ne pensez-vous point que l’amour légitime ne pardonne peut-être pas plus qu’une passion criminelle ?

— Oh ! c’est cela !… dit-elle en pleurant, vous avez donc tout deviné ! Je suis une énigme à mes propres yeux !… Mes sens sont engourdis. Je suis sans idée… Enfin, je vis difficilement. Il y a au milieu de mon âme une indéfinissable