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LITTÉRATURE.

la porte-cochère, occupées à regarder la calèche qui fuyait. Les yeux de la comtesse n’exprimaient pas l’amour comme la marquise le comprenait ; la pauvre dame était Provençale, et ses passions avaient été vives.

— Vous vous êtes donc laissée prendre par mon vaurien de neveu ?… demanda-t-elle à Julie.

La comtesse tressaillit involontairement. L’accent et le regard de cette vieille coquette semblèrent lui annoncer une connaissance du caractère de Victor, plus approfondie peut-être que celle qu’elle en avait ; alors la jeune femme, inquiète, s’enveloppa dans cette dissimulation maladroite, premier refuge des cœurs naïfs et souffrans.

La marquise se contenta des réponses de sa nièce ; mais elle pensa joyeusement que sa solitude allait être réjouie par quelque secret d’amour, et que, entre elle et sa nièce, il y aurait sans doute une intrigue amusante à conduire.

Quand Julie se trouva dans un grand salon, tendu de tapisseries encadrées par des baguettes dorées, qu’elle fut assise devant un grand feu, abritée des bises fenestrales par un paravent chinois, sa tristesse ne pouvait guère se dissiper ; car il était difficile que la gaîté naquît sous d’aussi vieux lambris, entre ces meubles séculaires. Néanmoins, elle prit une sorte de plaisir à entrer dans cette solitude profonde, et dans le silence solennel de la province. Après avoir échangé quelques mots avec cette tante, à laquelle elle avait écrit naguère une lettre de nouvelle mariée, elle resta silencieuse comme si elle eût écouté la musique d’un opéra.

Ce ne fut qu’après deux heures d’un calme digne de la Trappe, qu’elle s’aperçut de son impolitesse envers sa tante. Elle se souvint de ne lui avoir fait que de froides réponses. La vieille femme avait respecté le caprice de sa nièce par cet instinct de grâce qui caractérise les gens de l’ancien temps.

En ce moment, la marquise tricotait. Elle s’était, il est vrai, absentée plusieurs fois pour s’occuper d’une certaine chambre verte, où devait coucher la comtesse, et où les gens