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LE RENDEZ-VOUS.

Avant d’arriver au salon, la marquise avait déjà, suivant l’habitude des provinces, commandé à déjeuner pour ses deux hôtes ; mais le comte arrêta l’éloquence de sa tante en lui disant d’un ton sérieux qu’il ne pouvait pas lui donner plus de temps que la poste n’en mettrait à relayer.

Les trois parens entrèrent donc au plus vite dans le salon, et le colonel eut à peine le temps de raconter à la marquise les événemens politiques et militaires qui l’obligeaient à lui demander un asile pour sa jeune femme.

Pendant le récit, la tante regardait alternativement, et son neveu, qui parlait sans être interrompu, et sa nièce, dont elle attribua la pâleur et la tristesse à cette séparation forcée. Elle avait l’air de se dire :

— Hé, hé, ces jeunes gens-là s’aiment !…

En ce moment, des claquemens de fouet retentirent dans la vieille cour silencieuse, dont les pavés étaient dessinés par des bouquets d’herbes ; alors Victor, embrassant derechef la marquise, s’élança hors du logis.

— Adieu, ma chère, dit-il en embrassant sa jeune femme qui l’avait suivi jusqu’à la voiture.

— Oh ! Victor, laisse-moi t’accompagner plus loin encore ?… dit-elle d’une voix caressante. — Je ne voudrais pas te quitter…

— Y penses-tu ?…

— Eh bien ! répliqua Julie, adieu ! puisque tu le veux. La voiture disparut.

— Vous aimez donc bien mon pauvre Victor ? demanda la marquise à sa nièce, dont elle interrogea les yeux par un de ces savans regards que les vieilles femmes jettent aux jeunes.

— Hélas ! madame !… répondit Julie, ne faut-il pas bien aimer un homme pour l’épouser !…

Cette dernière phrase fut accentuée par un ton de naïveté qui trahissait tout à la fois un cœur pur et un profond mystère. Il était difficile à une marquise, qui avait connu Duclos et le maréchal de Richelieu, de ne pas chercher à le deviner. La tante et la nièce étaient en ce moment sur le seuil de